Lecture de L'Homme qui arrêta d'écrire de Marc Edouard Nabe (2).
Il y a de la visite guidée dans L'Homme qui arrêta d'écrire, qui se veut dantesque sur les bords mais sans rien de la poésie ni de la métaphysique qu’il faudrait pour composer une Commedia contemporaine digne des enfers du XXIe siècle que Nabe prétend brocarder. Sa virée ne manque pas de sel, et quelques épisodes et autres digressions valent le détour, mais la posture du narrateur, genre has been rouscailleur, me déplaît assez, et son style a perdu pas mal de son vif et de son tranchant, de son rythme et de son électricité.
Au fil de cent pages suivantes, après une évocation de la série américaine 24Heures chrono, il est essentiellement question des avatars dégradés de l’art contemporain, sur un ton de plus en plus sentencieux, voire pédant, avec des pages relevant de la dissertation plus que du roman, et d’improbables dialogues visant surtout à la mise en valeur des positions de l’auteur, nettement moins bon romancier que Michel Houellebecq.
Ce qui m’amuse, à ce propos, c’est que Nabe ait fait la leçon à MH, comme si celui-ci parlait de ce qu’il ne connaît pas, alors que MH, qui ne prétend pas savoir mais qui sent les choses en médium, en parle d’une manière finalement bien plus profonde que Nabe. Ce que Jed vit, en tant que faiseur d’art contemporain pas vraiment dupe, dans La Carte et le territoire, me semble de fait plus probant que les longs discours de Nabe « sur » le caractère parasitaire des nouvelles pseudo avant-gardes, qui me semblent des redites même si j’y souscris dans les grandes largeurs.
Surtout, ce qui me gêne dans la forme et la façon du roman de Nabe, c’est le ton sous-jacent de l’ancien combattant qui se manifeste dès le pèlerinage à la Cinémathèque en passe de fermeture, avec le couplet trop attendu sur la magie du lieu tel qu’il fut naguère et jadis. Au passage, on note que, parlant de Jean-Luc Godard, Nabe écrit Goddard, comme le nom de Bardot se transforme en Bardeau. Paradoxalement, la transcription exacte des noms, chez Houellebecq, produit un effet plus convaincant du point de vue… romanesque.
Les pages d’observation directes, au demeurant, sont meilleures que les propos ex cathedra du prétendu connaisseur de l’art, qui nous valent ensuite une plongée dans l’univers agité d’un centre de jeux vidéos, où se démantibulent des centaines d’ados, puis dans un défilé de mode hyperchic organisé sous le Louvre, qui va permettre au narrateur de détailler la dégaine presque « militaire » des mannequins et de se gausser de telle collection Clochard de Galliano : « Quel cynisme, m’exclamé-je ». De fait Nabe écrit : « demandé-je, remarqué-je, m’exclamé-je ». Mais bon : prenons-le avec un grain de sel.
Ce qui est plus difficile à prendre en légèreté, cependant, ce sont les pesantes pages qui suivent à la Biennale d’art contemporain où les nouveaux « pompiers » de l’art branché s’exposent, aussi « nouveaux » qu’à Venise en 2009, à Basel en 1999, à la Documenta en 1989 ou aux Galeries Pilote de Lausanne en 1979… Or, j’ai beau partager, dans les grandes largeurs, les positions de MEN sur la foutaise de l’art contemporain dans ses grandes largeurs : l’étape en question, avec la double apparition de Jean Claire (pour Jean Clair) et de Pierre Dhaix (pour Pierre Daix), me semble très convenue et d’autant plus que les propos « de connaisseur » de Nabe sur Duchamp, posés comme référentiels, vont resurgir au Baron, la boîte relookée superchic où aura lieu l’après-vernissage et où apparaît (ben voyons) un descendant de Gustave Doré en la personne d’un jeune chanteur de la Star Ac…
Voilà voilà : on se trouve donc à la page 200 de L’Homme qui arrêta d’écrire, et moi je reste décidément sur ma faim. Mais il me reste 500 pages à lire et je ne demande qu’à être étonné par delà ces pontifiances…
Image: une oeuvre de Damian Hirst