On avait vu traîner Abraham Dieu un peu partout.
C'était un grand gars poussiéreux, avec une longue barbe, un peu genre clochard céleste à la Jackob Kérouac.Il parait qu'il a fait du trekking sur le Sinaï, du jogging dans la mer rouge, qu' il fût aussi illusionniste en Égypte. Il avait toujours avec lui une flopée de compagnons d'aventure aussi mal fagotés.
C'était aussi un chaud lapin. Un peu lent au démarrage à vrai dire : il eut son premier fils, Ismaël, à 75 ans. Mais finalement il s'avera plutôt résistant, à 99 ans il en eu un second : Isaac.
Sûrement des racontars d'ivrogne, mais ce qui est sûr c'est qu'il s'éteint après une vie bien remplie mais les poches plutôt vides.
Evidemment comme c'est souvent le cas, ses deux rejetons se sont fâchés à mort pour trois fois rien : deux plaques de pierre cassées, et savoir lequel des deux était le préféré. Et quant je dis à mort c'est pas pour de rire. Toute la famille s'y est mis : les cousins, les oncles et tantes, les enfants, petits-enfants, petits-petits-petits neveux, ils se sont fait tous les coups les plus tordus, ils se traitent de tous les noms. Même de juifs et d'arabes, c'est dire. Un vrai merdier.
On s'rend pas compte, mais notre mort peut-être un grand malheur.
Surtout pour les autres, en fait.
Chez nous on est plutôt jubilo-crétins d'aprés ce que j'ai compris, genre ravis de la crèche.
Ce qui n'empèche pas non plus les petites histoires pas très catholiques.
Prenez ma tante Félicie par exemple, on lui donnerait le bon dieu sans confession : une jolie petite pèche fripée que l'on appelait dans sa jeunesse Bambi, non pas à cause de ses yeux noisettes, mais parcequ'un chasseur avait malencontreusement tué sa mère.
Elle va à la messe plusieurs fois par semaine et n'oublie jamais mon petit billet dominical.
Une sainte, la tante Bambi.
Elle a été mariée à l'oncle Robert, dit Ro, pendant plus de cinquante piges, pour le meilleur, et surtout le pire puisque la mort d'oncle Ro les a séparé.Ils ont eu trois enfants : Dominique dite Do, Raymonde dite Ré et Michelle dite Mi. Une jolie partition avec un bémol : Do étant l’aînée, Ré la puînée et Mi...morte-née.
A la mort de de l'oncle Fernand, le frêre de Ro, que j'appelais Pampam car c'était un grand chasseur (non ce n'est pas lui qui a buté la mère de Bambi, révisez vos classiques les Mickey), le notaire de la famille fit l'ouverture du coffre-fort.En tant qu'héritiers, ma tante Bambi, les cousines Dorées et moi-même, mais surtout en tant que chauffeur, étions conviés.
On (surtout Do & Ré) pensait tous que le magot de Pampam se trouvait là dans le coffre. Ailleurs, dans le reste de la petite maison c'était un joyeux foutoir (mais où était le Spécial Gros Seins que j'avais vu lors de ma dernière visite ?), mais un foutoir indigent (il l'a pas jeté quand même ?).
Dans le coffre point de lingots, ni de pesos, mais de vieilles lettres dans lesquelles on (Do, Ré & moi) appris que Pampam se tapait Bambi ! Le plus amusant c'est qu'elles dataient de l'époque à laquelle Do, Ré, Mi avaient été conçu ! Tu parles d'une cacophonie.
Tante Bambi du haut de ses 80 ans et 150 centimètres souriait aux anges, perdue dans ses souvenirs. Do & Ré complotaient, la mine sombre comme l'enfer, imaginant certainement le pire.Le notaire rédigeait, placide, se gardant bien de quitter un purgatoire incertain, lâchant parfois un soupire.
Et moi dans tout ça, bienheureux mortel, avec mon trésor enfin retrouvé, je me disais que la mort de Pampam était plutôt marrante.
Surtout pour moi, en fait.