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[FIC 12] L’effet de surprise dans les contes pour enfant.

Publié le 01 février 2011 par Routedenuit

[FIC 12] L’effet de surprise dans les contes pour enfant.

« Ma chère Éliette,

J’éspère que tu as bien dormi. Le café est sur la table du salon, je n’ai pas eu le temps de le ranger hier soir. Il faut aussi que tu rappelles Martin, il voulait savoir quand tu serais libre pour les portraits de sa fille.

Tu te demandes certainement pourquoi je t’ai laissé ces quelques mots. Alors autant te le dire tout de suite.

J’ai présenté ma démission au doyen de la faculté il y a deux jours. Je suis parti, je n’en peux plus. Je n’en peux plus des étudiants, ni de mes collègues, ni de l’écho de ma voix dans les amphithéâtres. Je n’en peux plus de ces monologues, de ces dialogues de sourds affligeants et convenus. Je n’en peux plus de ma petite notoriété, des livres, des voyages, des trains, des avions et des chambres d’hôtels. Je n’en peux plus d’être un coup de vent.

Je m’arrête dans deux jours, ils m’ont déjà remplacé.

Enfin.

Je me sens vide, Éliette. Je me sens vide et je le sens dans tes yeux quand tu me regardes comme un fantôme le soir au milieu du salon. Ou quand nous allons nous coucher et que je n’ai même plus l’envie de t’embrasser. Je ne suis plus rien, Éliette. Plus rien. Un amas de cynisme aigri, usé, perdu. Complètement incapable de te rendre un sourire, comme avant que j’aille dormir dans ces chambres d’hôtels trop vides aux quatre coins du monde. Comme quand nous allions au parc les dimanches après-midi, ou quand nous allions au cinéma et au musée, et encore au cinéma, et que nous rentrions à des heures qui feraient pâlir tous les jeunes d’aujourd’hui. Je voudrais retrouver tout ça mais je n’en ai plus la force. Je voudrais pouvoir ressortir, Éliette.

Je fais des cauchemars depuis trois semaines. Je ne t’en ai pas parlé parce que tu dors à trois heures du matin. Et surtout parce que je suis incapable de les expliquer. Je ne voulais pas t’embêter avec ça. J’ai peur de ne plus jamais retrouver l’excitation de nos premiers jours. J’ai peur de te parler de mes interrogations, comme si du haut de ma montagne, tu ne pouvais pas les entendre, ni les comprendre. Je crois que je suis devenu ce vieux con que j’ai toujours tant fui. Je crois que j’ai moi même creusé ce fossé qui s’installe entre nous depuis déjà longtemps et que tu fais semblant de supporter. J’ai peur de ne plus faire partie de notre monde, Éliette.

Je ne sais plus qui je suis et je réalise peu à peu que j’ai passé ma vie entière à essayer de te fuir, de nous fuir. Comme si j’avais le droit d’être plus que toi. Je ne supporte pas l’idée d’avoir été cet homme-là pendant ces quinze dernières années.

Alors ce soir je pars. Je pars, je ne sais pas encore où. Mais j’ai besoin de le faire une dernière fois. Ne m’attends pas, je crois que je ne reviendrai pas.

Libre à toi de me faire passer auprès de nos anciens amis pour le déserteur que je suis, en fin de compte. Libre à toi de me haïr, de me déchirer, de me brûler. Je te rends tes rêves, tes photographies, tes sculptures et tes envies.

Je t’ai aimée. Je crois.

Didier. »

Éliette reposa lentement la lettre sur le bar de la cuisine. Elle tremblait. Elle laissa échapper ses larmes dans un immense soupir dont elle ne comprit pas immédiatement le sens. Elle souriait. Éliette souriait, comme ce matin de juin où elle avait fait le pied de grue devant les Beaux-Arts en attendant les résultats des examens. Elle souriait comme quand on sort du cinéma après avoir vu un joli film que l’on  sait que l’on ne reverra pas. Elle souriait comme quand elle avait été suffisamment grande pour ne plus pleurer à la fin des contes que lui racontait sa grand-mère.

Éliette ne savait pas de quoi demain serait fait mais elle ne lui en voulait pas. Ils ne danseraient plus jamais sur le parking pluvieux d’un vieux magasin de meubles. Mais elle était soulagée, parce que maintenant, c’était une certitude.

« Les photos. Il faut que j’appelle Martin. »

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