Aux poètes méconnus

Qu’est ce donc que la poésie ? J’ai longtemps cru que ce n’était qu’une question de forme, d’organisation d’un texte en vers d’un nombre déterminé de pieds. Et de rime. J’ai commis dans ma jeunesse quelques textes que j’osais qualifier de poèmes et qui n’étaient qu’arrangements de mots respectant vaguement quelques règles, du moins selon la connaissance que j’en avais. J’allais d’octosyllabes en alexandrins sans m’apercevoir que mes textes n’avaient des poèmes que la forme. J’aurais dû être alerté par l’ennui que j’éprouvais à la lecture qu’on nous imposait de tragédies en vers mais je l’oubliais, subjugué sans doute par l’impression laissée par quelque après-midi scolaire au théâtre municipal, lequel ne gardait pourtant de sa splendeur passée que le velours rouge, passablement élimé, de ses fauteuils. C’est au contraire Victor Hugo qui m’ennuyait, la faute sans doute à Lagarde et à Michard, dont la lecture m’inspirait autant que celle de l’impérissable ouvrage de Bouvard et Ratinet, l’un autre duo que des générations de lycéens ont béni ou maudit selon les moments.

Il m’arrive, aujourd’hui que les tables de logarithmes ont perdu toute utilité, de leur trouver une grande poésie. Ces chiffres prisonniers dont on se passait les colonnes de génération en génération valent bien certains alignements de mots.

Mais alors, qu’est-ce que la poésie ? Si ce n’est la forme, c’est donc autre chose. Les mots expriment la douleur ou la joie de celui qui les assemble, ils permettent à celui qui les lit de partager plus qu’une pensée, plus même que des sentiments. Le poème ouvre une voie où le lecteur choisit d’aller, à moins qu’il ne préfère, inspiré par les mots, en prendre une autre. Le poème idéal n’a pas de sens, ou plutôt il en a autant que de lecteurs car c’est bien là la puissance de la poésie, elle libère l’esprit en invitant à l’évasion.

Depuis que je me suis mis à fréquenter les blogs, j’ai trouvé d’innombrables pages qui n’ont de poétique que la forme, j’ai même contribué à cette profusion de médiocrité. Je les ai oubliées, il m’arrive d’y revenir quand l’hypertexte prend des airs de cadavre exquis. Peu m’importe d’apercevoir ces pages souvent encombrées d’illustrations clinquantes, je ne retiens que les textes magnifiques, en vers ou en prose, qui m’apportent ce voyage intérieur et une libération tant recherchée.

Alors, pourquoi écrire cela aujourd’hui ? Il n’y a guère de raison, sauf peut-être de dire à quelques uns que si je ne laisse pas toujours de trace de mon passage chez eux, je les aime, les admire parfois, et surtout voudrais les remercier.