Tout émigré est un voyageur et un rêveur. Je me souviens de mon père qui se levait tôt pour aller à l’usine. Odeur de café, de cannelle et de musc dans la maison après son départ. Moi et mon frère, nous nous réveillions toujours trop tard. Nous apprenions peu à peu à ne savourer que ses traces. Nous enterrions le père, nous aimions son fantôme. Et ma mère qui s’affairait autour de nous, la marmaille, la smala, l’avenir.
C’est pour nous qu’ils sont venus tous les deux ici, pour abandonner là-bas la nonchalance, les appels à la mer et à la prière, les palabres des souks et des hammams. Moi, je conduis le métro huit heures par jour. Dans ce tunnel noir, je creuse et recherche leurs rêves enfouis, les miens peut-être aussi. Je retrouve mon enfance, j’essaie d’en découvrir le secret et son goût d’éternel regret. Il y a toujours un pays qui nous manque.
Je rêve là-bas où je ne suis pas. Je rêve de là-bas auquel je n’appartiens plus. L’été, j’y suis perdu. J’ai l’odeur du Français, il n’y a rien à faire. J’ai l’orgueil du civilisé, du blanc, je ne peux m’en défaire. Surtout, je suis aveuglé de tant de lumières. Blanche, crue, rousse, rouge, belle et ronde. Comme celle qui vient d’entrer à l’instant dans ma bulle. Au revoir Louise ! Ne reste plus que son sillage qui m’enveloppe, me caresse encore, un mélange puissant de rose et patchouli…