Un caillou

Publié le 01 février 2011 par Cecileportier

La loi des séries est une terrible loi. Je m'y astreins seulement pour avoir un chalut où rassembler des pensées sans trop d'effort. Mais au bout de quelques mois le chalut s'use, il laisse passer n'importe quoi, et dans les deux sens.

Tenez, mon chalut actuel, compléments d'objets. C'est comme vouloir ramener la mer à soi. Et je n'ai même pas encore traité d'articles essentiels, type moulinette à vinaigrette et ratatine-ordure.

Donc, je descends de mon bateau, je fais un peu de pêche à pied. Quoi trouver, maintenant? Si j'avais lancé ce chalut là, c'était pour désencombrer la mer. Car les objets nous encombrent. Donc, trouver plutôt un sujet. Un sujet simple. Un caillou, par exemple. En voilà un beau, juste devant moi, prenons celui-là.

Un caillou, quoi en dire? Qu'est-ce qu'on peut en dire pour lui même, sans tentative d'exemplification didactique? La couleur, déjà. Celui-là, selon où on le regarde, blanc, roux, ou gris. Au toucher, il est lisse, doux, presque. Mais dispose quand même d'une arête discrète et tranchante. Voilà. Ca ne va pas bien loin.

Un caillou, c'est quand même un défi pour l'écriture. Bien sûr je pourrais faire croire, qu'avec ce silex là je vais faire des étincelles. Mais c'est pas vrai, je ne sais pas faire ça. D'autant, je ne suis pas sûre que ce soit un silex. Ou alors si, certainement, mais enveloppé dans une sorte de gangue. Je pourrais vous le montrer, mettre une photo, puisque je l'ai devant moi, là juste sur mon bureau. Mais ce serait trop simple, et même vexant, vous trouveriez plein de choses à en dire que je n'avais pas vues.

Je peux dire son poids. Son poids dans la paume, invraisemblablement concentré. Il est si lourd dans la main qu'il ressemble à ce qui pèse diaphragme, certains jours. Il est froid, aussi. Au bout de quelques minutes dans la main, on pourrait croire qu'il est chaud, mais ça ne dure pas. Disons que sa chaleur s'adapte. Il est nu, mais il ne le sait pas. Le caillou, c'est la seule chose naturelle dont on puisse dire qu'elle est nue, avec l'homme, qui ne l'est pas. On ne dirait pas, du moins, moi ça ne me viendrai pas à l'esprit, de dire qu'une herbe est nue. Mais le caillou, si. A cause de cette densité, qui n'est pas de la chair (la preuve, il est inépluchable) qui n'est pas de l'os, mais les deux un peu.

Du caillou, en général, de celui-là aussi par conséquent, on peut dire aussi qu'il est inutile. Plus exactement, qu'il est irréductible à toute utilisation. Bien sûr on peut toujours vouloir en faire un instrument de colère et de lapidation. Ou bien un barrage pour un mince torrent de montagne. Ou bien un presse-papier, je crois bien d'ailleurs que c'est à cet usage que j'avais dû au départ ramasser celui-là : pour rassembler mes manuscrits. On peut faire ce qu'on veut avec un caillou, il s'y prête, volontiers, j'allais dire, mais c'est déjà trop dire, car c'est comme si tout cela ne le concernait pas.

Mais en même temps, le but d'écrire, est-ce de concerner les cailloux? Ce caillou me casse un peu la tête, vous pouvez constater. J'en arrive à me poser des questions indéfendables.

Un caillou ne sert pas, ne se sème pas. A bien le regarder, pour vous en rendre compte, je me dis cela, seulement, que je peux seulement le regarder être. Que cela devrait suffire.