Après ma truculente consultation avec le neurochirurgien tyrannique expéditif, mon généraliste m'a proposé de tester 15 séances de kinésithérapie. J'attendais chaque jour, avec la plus grande impatience, la séance avec celui qui mettait du bonheur dedans mon dos avec ses mains magiques, à tel point que j'ai proposé à mon chéri soit qu'il prenne des cours de kiné, soit d'adopter un kiné, mais il a pas voulu. Une heure de soulagement par jour, après deux longs mois de souffrance, c'était presque inespéré même si ce n'était qu'une amélioration furtive au quotidien. Massage, manipulation, sur le coup c'était bien, mais cette saleté de bordel de caca prout de mammouth de vilaine douleur mesquine revenait toujours au galop.
Début Janvier, j'ai eu l'incommensurable chance d'être convoquée chez le médecin conseil de la sécurité sociale. J'appréhendais ce moment avec inquiétude parce que j'ai eu affaire à ce genre de médecin trois fois auparavant et que je sais que leur mission est de faire dire au patient "Je suis pas malade, je peux retourner bosser". Ben oui, y'a des gens qui abusent et puis le trou de la sécu, hein, faut bien éviter de le trouer un peu plus, ce ne sont donc pas véritablement des docteurs mais des bourreaux qui viennent vous culpabiliser, disent n'importe quoi et n'écoutent même pas ce que vous avez à dire. Je généralise ? J'en ai vu 3 différents. Tous pareils. Ont-ils des primes au nombre de cas qu'ils renvoient au boulot ? Allez savoir ! En attendant, c'était très exactement le lundi 3 Janvier 2011 à 10h00 pétante du matin. Elle était bien à l'heure madame le docteur. J'ai très, très, très vite eu une image concrète de l'expression "comme une porte de prison". La porte de prison avait pris une forme anthropomorphe et un "bonjour" ou un "sourire", il fallait vraiment lui arracher de la bouche. Mais ce n'est pas son rôle d'être gentille. Elle est là pour voir si vous mentez ou pas, si vous devez repartir au travail ou pas. Je n'étais évidemment pas très à l'aise. "Vous êtes souvent en arrêt vous !". La culpabilisation commence. Bien sûr madame, je ne fais que ça, profiter de la société, ça m'amuse d'être malade et ne toucher que la moitié de mon maigre salaire. "Euh..." fis-je étonnée. "2006, une semaine, 2008, un mois et demi, 2009, une semaine et enfin cette année c'est la deuxième fois". Résumons : 2006 crise de tachycardie de Bouveray ayant entrainé des nuits blanches et tout et tout, 2008, accident de voiture avec quelques séquelles , 2009 crise de spasmophilie, 2010 blocage du dos en Juin, et enfin Névralgie cervico bracchiale invalidante depuis le mois d'octobre. J'ai de l'imagination et je suis une excellente comédienne, évidemment. EST-CE QUE TU CROIS QUE JE LE FAIS EXPRES CONNASSE ?
"Et là, vous ne pouvez vraiment pas travailler ?" me dit-elle sur un ton accablant. Je lui explique donc ce qu'est mon travail et l'étendue de la douleur. Rien n'émeut madame la porte blindée de prison. Même un pit bull enragé semble plus sympathique.
"Ca fait quand même TROIS MOIS tout de même !". Euh 2 mois et demi, en fait. En plus elle sait pas compter. Normal, les portes de prison, c'est pas réputé très intelligent, non ? "Il serait temps de retourner au travail". Mon compte en banque ne demande que ça, madame. Je n'ai pas osé dire ça. Je lui ai donc ré expliqué quand, comment, où j'ai mal. En évitant le "va chier connasse", parce que c'est dur, extrêmement dur d'avoir à subir ça quand ça fait presque trois mois qu'on a mal et qu'on a pas encore trouvé de solution !
Elle regarde mes divers examens, lis les résumés des spécialistes et conclue comme ça qu'il n'y a rien. Rien. Là je me dis que je vais probablement sortir de là en pleurant. Parce que c'est la goutte de trop. Je suis atteinte physiquement et maintenant, en cadeau, je serai atteinte psychologiquement.
Elle m'examine. Froidement. Constate que j'ai tout mes réflexes et ma force musculaire. Oui j'ai ma force musculaire pour déchirer une feuille ou lever les bras, ce jour là. Il y a des jours où je ne peux pas lever le coude, mais elle s'en fiche. Les faits qui l'intéressent sont ceux du jour. Elle conclue "Vous n'avez rien ! Vous pouvez retourner travailler". Ma foi, je lui réexplique que j'ai MAL ! Et j'ajoute quand même que la situation financière dans laquelle cela me met ne m'arrange pas et que je préfèrerai travailler, mais que je ne peux pas ! Elle justifie du coup mon arrêt jusqu'au 31 Janvier et me dit clairement et froidement : "Si vous prolongez en Février, je vous convoque et je vous renvoie au travail". Sympa. Elle ajoute : "Vous avez qu'à aller voir la médecine du travail".
Je sors de là complètement déconcertée. Comment peut-on se prétendre médecin quand on n'écoute pas un mot des patients ? Comment peut-on traiter quelqu'un de la sorte et le culpabiliser parce qu'il est malade ? Je ne comprends absolument pas.
Je contacte au plus vite mon employeur pour voir rapidement la médecine du travail et discuter de ma situation. Il se montre très compréhensif et je bénéficie la semaine suivante, d'une visite de "pré-reprise". Je dois de toutes manières reprendre pour avoir la visite de reprise, celle qui me déclare apte ou inapte au poste. Je suis écoutée mais elle va dans le sens "nous allons essayer quand même de vous faire garder un poste". Ce qui est tout à fait honorable et en ma faveur et j'apprécie. Elle conclue que je peux travailler en rayon sur les produits dits "légers" comme le papier toilette, les biscuits, les couches ... et qu'en caisse je peux très bien travailler de la main gauche, soit attraper de la main gauche et éventuellement pousser de la droite. Je lui signifie pourtant que l'opération est difficile, car la caisse demande une coordination des deux mains et que quand vont arriver les articles lourds, je ne pourrai pas d'une main ... ou mieux, je vais me pourrir l'autre bras... Je lui signifie que je vais quand même essayer. Elle m'a également conseillé un docteur en médecine physique , "Le pape de la manipulation" a-t-elle dit. Je suis donc allée le voir quelques jours avant la reprise.
C'était le 26 janvier 2011. La consultation a été plutôt marrante. Déjà elle a commencé par une gourmandise. Oui. Il arrive dans le bureau où la secrétaire m'avait installé, me salue, lit la lettre de mon docteur, regarde mes examens, m'écoute et me dit "Vous aimez le chocolat ?"... "Pardon ?" dis-je interloquée, me disant que ça y'est, il allait me dire que je suis trop grosse et que mon problème vient de là même si je ne marche pas sur les mains ! Là il me répond : "Si j'en mange pas un, je vais faire une crise d'hypoglycémie, pas vous ? Allez prenez en un !". Et comment, des Léonidas s'il vous plait ! J'ai pris le gros, entouré de chocolat blanc avec la grosse noisette entière dedans. Je lui dit "C'est bien rare qu'un docteur m'incite à manger du chocolat !". Il est fichtrement rigolo, je l'aime bien. Bon il a dit que j'étais dans un beau merdier, entre ça et mes trucs thyroïdiens, mais que c'était pas insurmontable. Il m'examine alors que je déguste lentement le chocolat qui fond sous mon palais. C'est pas tous les jours que j'ai l'occasion de savouer un léonidas, hein. Et là il constate que j'ai mal là où il appuie, soit autour de l'omoplate droit. Il me dit "Vous adorez hein quand je vous touche là ?" sur un ton taquin. Il teste ma sensibilité, ma force... Constate que j'ai une douleur aux cervicales. Réfléchis deux secondes. Me fait assoir sur un tabouret noir. "Pieds à terre, serrez les genoux et détendez vous"... Ok. Il masse mon omoplate gauche, puis le droit et me dit "souvenez vous de la douleur de ce côté-là, ok ?", "ok". "Détendez vous, laissez allez votre tête et vos bras". Il appuie sur un point précis de mes cervicales et me tourne la tête assez vivement vers la gauche. Crrrrraaaaaccccckkkk criiik. Aie ! Une vive douleur, puis plus rien. Il tâte mon omoplate droite et me dit "Alors ?", "Je n'ai plus mal !". Le voilà satisfait et moi aussi. J'ai quand même toujours mal au bras. Et ça il n'aime pas, il ne comprend pas. Il me propose de faire une radio de l'épaule, chez le radiologue du cabinet juste là. Je pars donc avec un autre monsieur rigolo qui raconte sa vie, me parle du supermarché où je travaille et me dit que je suis bien jeune pour souffrir comme ça. On rigole bien. Il me dit d'enlever le haut pour la radio. Moi j'enlève le pull et le soutien-gorge. "Nan mais le soutien-gorge c'était pas la peine", "Mais y'a du métal dedans ?", "C'est pas au niveau de la radio, c'était pas grave". Tant pis, il verra ma magnifique poitrine et pis c'est tout. Mon épaule est donc radiographiée en long en large et en travers. Je repars dans le cabinet du docteur et j'attends car pour avancer, ce monsieur avait repris quelqu'un en consultation qui avait fait, pendant mon passage, une radio. J'attends une demi heure, sagement, profitant du fait de ne plus avoir mal sous l'omoplate, même si mon bras fait des siennes.
Je le vois revenir, prenant sa boite de chocolat et dire "je reviens". Il repart. Reviens avec sa boite de chocolat , s'assoie et me dit "vous voulez un chocolat ? Moi j'en reprends un". Je réponds "vous savez, j'ai pas trop le droit, un ça suffit". Nous reprenons le cour des choses. Mon épaule va a priori plutôt bien. Pas de calcification, rien de particulier. Il me dit que la douleur sous l'omoplate va fatalement revenir et qu'il faudra plusieurs séances de manipulation. Ok. Et pour le bras, il sait pas trop, "à voir" dit il. Bref, une partie du mal a l'air de pouvoir être enlevé, et ça c'est chouette. Je sors de là, je reprends un rendez-vous ... et direction la maison. 2 jours d'omoplate soulagée. J'ai senti la douleur revenir peu à peu mais plus "sourdement". Je n'ai qu'une hâte, y retourner.
Mardi 1er Février était donc le grand et merveilleux jour de ma reprise d'essai. Pendant à peu près deux semaines j'avais rêvé toutes les nuits du boulot. Entre le rêve où j'arrive 2h en retard et que ma chef vient me chercher au volant d'une ...tondeuse à gazon (????), celui où un collègue m'aide à m'échapper par des fenêtres que je n'avais encore jamais vues, ou encore ce doux et merveilleux rêve où les caisses bénéficiaient de douchettes pour scanner les produits lourds de loin et de belles chaises confortables avec un vrai dossier pour se reposer le dos et mes collègues qui n'en finissaient pas de me remercier... ou encore ces nombreux rêves où je travaillais en pleurant de douleur sans que personne ne fassent attention à moi ...
Le premier jour du mois de février 2011 est arrivé. Debout 5h et en avant pour le boulot à 6h. J'ai immédiatement été dirigée par un collègue vers les articles légers, j'ai été aidée, chouchoutée, et ça m'a mise en confiance dès le départ alors que j'étais un peu effrayée à l'idée de reprendre le boulot, de ne servir à rien et que ça soit mes collègues qui doivent supporter ça. J'ai commencé par le rayon Papier toilette, essuie-tout. Ca allait encore figurez-vous, sauf les manipulations en hauteur. Et pour porter mon escabeau, je le trainais soit en le poussant de la main gauche soit du pied ! J'en suis arrivée aux couches pour bébés. Nan mais , on s'en rend pas compte mais un paquet de couches, c'est lourd ! Je me suis dit c'est pas possible, ils les ont fabriquées avec des tonnes de merdes de bébé dedans ! Lever le paquet et le ranger dans le rayon au niveau de mon buste c'était assez douloureux. Je suis passée aux biscuits apéro, mais il n'y avait pas grand-chose. J'avais oublié que les cartons de cacahuètes pesaient un âne mort. Je pars ensuite au rayon biscuit. C'est pourtant, d'un point de vue "unitaire" ce qu'il y a de plus léger. Mais ces petites manipulations, allez au fond du rayon pour remplir, ça a commencé à un peu plus nouer la douleur de l'omoplate, que j'utilise le bras gauche ou le droit. Là j'ai commencé à souffrir. Et charger en bas ? J'ai du me coucher par terre car à genoux c'était trop insupportable. Plus j'avançais plus la douleur augmentait. Je me suis rendue au café ensuite où j'ai proposé à une collègue de lui faire pendant qu'elle attaquerait l'autre rayon, celui des conserves et pâtes. J'ai là pris mon temps, tranquillement, pour ne pas trop me faire mal.
L'heure de la caisse est arrivée. Le comptage. Les premiers clients. Assise ? Impossible de manipuler et de pousser du bras droit sans avoir mal. Debout ... l'omoplate hurlait. J'ai essayé de ne pas trop décharger l'effort sur le bras gauche pour ne pas me faire mal, mais c'était bien trop difficile. Alors j'ai collé le bras droit au corps, tant pis. J'ai gardé le sourire, parce que vois-tu, je voulais pas que les clients voient que je souffre, mais bon, ils voyaient bien que j'avais un bras inactif. Les questions fusaient. Je leur explique la situation en deux mots et voilà "bonne journée, bon courage". J'ai revu les pires clients, ceux qui puent, ceux qui sont chiants et les meilleurs clients. Ca m'a fait du bien de voir ce monde, de retrouver ces gens-là que je côtoyais souvent. Les petites blagues, les petites joutes humoristiques avec certains. La douleur était là, mais la bonne humeur aussi. Je n'avançais pas assez vite, alors la file s'allongeait vite derrière ma caisse.
Mon employeur m'a convoquée dans son bureau et m'a dit qu'il voyait bien que je souffrais et qu'il valait mieux que je retourne en arrêt de travail, le temps de voir la médecine du travail dans une semaine...
A la fin de la matinée, à 12h30, je ne pouvais plus décoller le bras du corps sans hurler et le haut du dos était douloureux, j'ai quand même fait l'effort de nettoyer ma caisse, tenant contre moi le produit "pshit pshit" de la main droite et frottant de la main gauche. Me revoilà donc en arrêt de travail pour maladie jusqu'au 12 Février, attendant les prochains rebondissements !