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Marcel. Tout simplement. (2)

Publié le 03 février 2011 par Sophiel

simpson.jpg A peine attablés, c’est sa mère qui relance l’action en s’adressant à l’épouse de son aîné :

  • -   Dites-moi Solange, j’ai l’impression que votre jupe vous boudine un peu, non ?
  • -   Bah, intervient Mr Forest, comme ça, not’garçon, il a plus à tâter !

Les uns s’esclaffent pendant que l’une lance des regards assassins.

Marcel, lui, attend le plat de résistance avec un appétit grandissant.

Alors que l’on sert le poulet et qu’il se charge de nettoyer la carcasse arrière, ses deux frères se déclarent ouvertement la guerre sous les encouragements muets mais puissants de leurs épouses respectives. Des insultes à peine voilées sont lancées, attrapées au vol et aussitôt renvoyées à leurs propriétaires.

Marcel ne perd pas une miette de la carcasse qu’il ronge méthodiquement, ni de l’échange savoureux qui devrait aboutir à la divulgation malencontreuse de quelque secret pas si bien gardé que cela et dont il raffole.

  • -   Et Marcel ? Tu ne crois pas qu’il serait temps qu’il sache enfin d’où il vient, hein MAMAN ? lâche l’aîné, toutes babines retroussées.

Le Marcel en question, occupé de son bréchet, ne perçoit pas tout de suite la solennité de l’instant. Il lui faut bien quelques secondes pour que le ton anormalement jubilatoire de son aîné lui parvienne aux oreilles. Ensuite, les mots résonnent dans son conduit auditif avant de trouver tout leur sens dans un coin de son cerveau. Il s’arrête lentement de suçoter son os qu’il ne lâche pas pour autant, lève des yeux innocents sur la tablée qui l’observe sans piper.

  • -   Quelle importance d’où je viens, murmure-t-il, l’important c’est où je suis aujourd’hui. Avec ma famille.

L’aîné ricane bruyamment, s’apprête à répondre quant il est stoppé par son père :

  • -   Jean, ça suffit !

Marcel sourit tendrement à sa mère qui essuie une toute petite larme qui n’ose descendre le long de sa joue, reprend son bréchet qu’il nettoie à coups de dents sans se soucier des regards interdits des convives.

Pourtant, Marcel est bouleversé.

Jamais, jusqu’à aujourd’hui, il n’avait été le centre du repas dominical.

Jamais on ne l’avait prié de tenir LE rôle, dans leur pièce familiale.

Jamais ses frères ne s’étaient intéressés à lui autrement que pour l’ignorer.

Jamais son père n’avait élevé la voix à cause de lui.

Jamais sa mère n’avait versé de larme par sa faute.

Jamais il n’avait senti son cœur battre à ce point.

Jamais ses oreilles n’avaient ainsi bourdonné.

Jamais sa vue ne s’était soudainement brouillée.

Jamais il n’avait ressenti cette affreuse sensation d’étouffement

  • -   Mon Dieu, parvient-il à entendre de très loin, il fait un malaise !

L’agitation autour de lui, des bras lui enserrent la poitrine, des doigts farfouillent dans sa gorge, des poings lui frappent la poitrine, mais qu’ont-ils donc tous à le secouer comme un prunier ?

Et puis, plus rien.

Il flotte.

Il les voit encore, agités autour de son pauvre corps tout mou. Il ne les entend plus.

Son père invective l’aîné qui parle, parle, sans s’arrêter. Les autres arrondissent leurs bouches de surprise, sa mère s’écroule auprès de lui. Lui qui n’entend rien, ne saura donc pas d’où il vient, aussi sûrement qu’il n’a aucune idée de là où il va…

Ce qu’il sait, c’est qu’il s’y présentera, un bréchet coincé dans la gorge !

Dont acte.


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