Etude d'un voyage après une rupture. Tentative d'oubli.
... est-ce sain de voyager pour oublier que l'on a aimé ? L'étranger, est-ce se retrouver ?
... emmaillotée dans une doudoune très disgracieuse parce que là-bas, sans doute plus qu'ici, il fait froid.
... ai pleuré dans l'avion ; la vue du paysage qui s'éloigne est très symbolique.
... perte des sensations : il fait effectivement très froid. Je ne sens plus mes doigts, je ne sens plus mes oreilles, je ne sens plus rien, ce qui est bien puisque c'est justement ce que je recherche...
… La perception que l’on a d’une terre inconnue est-elle comparable aux sentiments qui nous habitent lors de la prise de conscience suscitée par la perte de l’être aimé ? Les gens connus ne deviennent-ils pas peu à peu des terres nouvelles ne nécessitant plus d’être explorées ? Faut-il alors apprendre à les redécouvrir ou bien les laisser là, vierges ? A-t-on un quelconque droit de cité sur ?
... après que quelque chose de triste soit advenu, nous cherchons tous la grande évasion. Il y a simplement des évasions plus évidentes que d'autres...
… Quel droit ai-je de juger les résignés ? Suis-je meilleure, à l’intérieur ? J’aurais bien fait la révolte des chaires pour ne pas les laisser pourrir, j’aurais bien fait lever une armée pour les ramener, j’aurais bien tout arrêté pour les psalmodier, j’aurais bien récurer les profondeurs pour les désinhiber, j’aurais bien sucé leur ego pour les transfigurer. Mais je n’ai rien fait. Je suis une crotte cosmique. Je n’avais aucun droit de les juger. Je ne vaux pas mieux qu’eux parce que je ne suis pas eux, parce que je suis pire qu’eux. Ils ont la solution et moi, que mes doutes. Les petits couples. Les étrangers étranges, corps délabrés car loin du mien. L'être aimé loin de mon corps, moi, loin du sien. Déracinée.
... Bardas sur moi, bardas sous moi, bardas tout autour de moi. Mon corps a du mal à assimiler l’alcool et la tonne de bouffe qu’il a engrangé depuis une semaine et demie. Je vais tout prendre dans les nichons. La nature m'a ainsi faite que c'est là que je stocke tout pour en faire une dépression. Mon cerveau en a même oublié l’être aimé et je l’en félicite pour ça. Enfin je crois.
… me trimballe avec mes valises de bar en bar, une sale gueule et dépotoir, une âme en suppositoire. Parfois, je mets mon roman sur la table et griffonne cette histoire conne. Et puis les mots se brouillent et je me mets à chialer comme une merdeuse et puis ils se mettent à trembler, à s’estomper et finissent par réapparaître. Ils se décollent et flottent un instant dans les airs puis me foutent des coups comme des claques si violemment que j’en tombe de la chaise. Le serveur arrive et je lui crie dessus, je suis foutue à la porte et je leur jette à tous un regard noir. Me shoote à la vodka, encore, jusqu’à l’indigestion qui me fait vomir de l’air et parfois, avec chance, d’un peu de bile. La bile : le vomi si particulier des gens qui n'ont plus rien à vomir.
La meilleure des inspirations provient d'une blessure et d'une ivresse constantes et entretenues. Je m'y tiens : j'ai des règles.
… calèche à touristes se pourléchant de monuments, anglais suintants d'une sueur nauséabonde, chiens qui s’enculent dans une rue, merde sur le pavé, une faible envie de digérer, de me poser, clic-clac de montre dans ma cheville, orteil griffé par la pierre, terrasses de restaurants dégueux, pigeons partout et partout qui redressent la tête sur le passage, et demandent à bouffer, ils sont gros et gras et ici plus qu’ailleurs puent le graillon. Ils tournent en rond comme à la Mecque autour de la place de la Liberté, griffent le sol avec leur petites pattes, pigeon à l’aile atrophié dans un coin et qui fait le mariolle, ai bien envie de le saigner, de lui couper la tête et de le faire couler dans un verre. Puis, lentement, le boire. De prendre un pigeon pour le taper sur un autre pigeon. Pif, paf, sans aucune compassion.
… tourments dans la nuit, le petit Australien visiteur du monde et découcheur les grands soirs, le petit australien liseur de Wojnarovicz et bigorneaux en tout genre, sirote une bouteille d’eau minérale, me fait de l'œil et je lui dis de dégazer vite fait de là sinon j’appelle mon pigeon dressé. J'ai un problème avec tout ce qui porte une bite. Il faudrait que j'apprenne à ne pas faire d'une expérience une généralité. C'était le but de ce voyage : me dépayser, penser à autre chose.
Pourtant : homme = out.
… ai décidé de prolonger le séjour et de m’enfoncer un peu plus dans l’abîme. Des plaques rouges boutonneuses commencent à me pousser sur le ventre depuis plusieurs jours et je pense avoir attrapé une puce.
... et quoi ? ça te dérange tant que ça une fille qui picole comme un mec ? t'as quelque chose à y redire ? je suis très représentative de la femme française de base qui écluse après un échec sentimentale. Je suis d'ailleurs très représentative de la France tout court, à preuve : je m'appelle Marianne, si c'est pas un signe ça !
… ai pris une douche et ai mis le pied dans un truc qui ressemble à du foutre laissé par le précèdent utilisateur (homme = out = gros dégueulasse). Une longue langue affûtée sort du tuyau d’évacuation par le siphon et lèche la preuve gluante. J’écarte les pieds et dégueule si sec. La langue se recule et me dit que ça, non, vraiment, c’est immonde. Je m’excuse et cache mon sexe, mes seins, de peur qu’elle ne les voit.
… ai décidé de prolonger le séjour et de m’enfoncer un peu plus dans l’abîme. Des plaques rouges boutonneuses commencent à me pousser sur le ventre depuis plusieurs jours et je pense avoir attrapé une tique qui s'allie à ma puce. Je cumule les parasites, même ici. Je dit "parasite", je ne dis plus "être aimé", est-ce preuve d'évolution ?
... les surnoms que l'on donne à nos exs après la rupture sont-ils preuve de maturité ? Doit-on leur trouver un sens ?
… j’attends sur le quai. Suis seule. Ça tape dans ma tête. C’est pas étonnant. Les étrangers, tout comme moi, font un alcool de leur rancœur.
… M’endors.
… La frontière se rit de moi en me murmurant que rien n’ira forcément mieux là-bas, que là-bas, "l’être aimé" y est aussi (plus le "parasite"... je note), qu’il est toujours derrière, qu’il se presse de m’y croiser, qu’il se fera une joie de sortir de sous le fauteuil pour me botter en touche, pour me botter le train. Et puis c’est vrai, on voudrait vivre les joies comme des dons, on vaudrait vivre les bons moments et suer les mauvais, on voudrait se sentir forte alors que l’on est enchaînée. On voudrait sortir la tête haute de toute cette merde, croire que l’on sera plus heureuse qu’aujourd’hui, qu’on est des grandes, qu’on pourra sourire plus pour nous que pour les autres. Et puis on déchante. On s’endort et on fait l’amour en petite mort. Un sourire béat orgasmique sur les lèvres et l’insouciance tranquille. Mais l’enfant est toujours là qui sommeil, et quoi qu’on y fasse, il sait très bien comment se débâillonner pour commencer son abcès et faire monter ses accès de couleurs. C’est bien à partir de là que l’on est foutue. Dès lors qu’il a montré le bout de son cul. Pour la plupart, il se lève à la mort. Pour ma part, il ne s’est jamais couché. Sale gamin. Méchant, méchant…
… Check in Hotel, Check out, bye bye, no way, no time, come back later, girl... Alors je m’endors sur la grande place, serrant mes bagages, faisant ainsi le seul geste qui me rattache encore à mon humanité. Mon sac possède si bien les contours de l'être aimé...
... oublier : c'est pas vrai...
... ce voyage est un scandale, un mensonge. Je suis idiote. Je ne m'émerveille de rien d'ici comme je le devais. Je vais faire semblant de m'extasier : "Ce clocher est le plus beauuuuuuu clocher que je n'ai vu de toute ma viiiiiiiiiiiiiiiiiiiieeeeeeeeeee" (je vais même prendre des photos s'il le faut...)...
… et tous les cancers de musique classique…
… et tous les angles de rue…
… et tous les clochers…
... et tous les clochers très laids qui ressemblent à tous les laids clochers du monde entier...
… et toutes les amertumes…
... et les petits couples, les pires...
... et qu'on a même envie de leur enfoncer des fourchettes dans les yeux de leur joie qui sourit...
… et toutes les personnes qui, sous prétexte de ne pas finir seules, enlacent l’idée fugace de bonheur…
… et tous les conchies…
… et tous les conflits intestins…
… et tous les rois qui ne sont pas toi…
… et toutes les filles d’attentes qui ne sont pas moi…
… et tous ces gens qui ne voit que toi et qui se moquent de moi…
… embrasse-moi...
... que fais-tu en France et sans moi ? Enlève tes pieds de la table basse, c'est pas toi qui nettoie après, bordel !!!!
... que moi aussi j'en suis capable...
... j'ai fui une rupture que j'assume mal...
... j'ai merdé en tout point ma reconversion dans le monde adulte...
... je suis une chiasse...
... une grosse chiasse qui après ce voyage pèsera cinq kilos de plus ce qui se traduira par une paire de nibards indécente...
... projection d'une randonnée très physique à l'UCPA pour évacuer tout ça et oublier...
... à ce qu'il parait les profs de l'UCPA sont tous très beaux et tous très gentils.
On a les remèdes qu'on peut.