Le dernier homme qui parlait catalan

Publié le 04 février 2011 par Urobepi

Deux écrivains comme deux frères ennemis:

L’un, Ramon Balaguer, est le dernier occupant d’un immeuble vétuste de Barcelone qu’un entrepreneur peu scrupuleux projette de rénover pour le remettre sur le marché avec, gageons, un appréciable bénéfice. Mais voilà, Balaguer fait obstacle et s’entête à vouloir rester sur place, du moins jusqu’à ce qu’il ait terminé la première version de son nouveau roman. Rien n’y fait: ni les cajoleries, ni les menaces, ni les promesses d’argent ne semblent l’atteindre.

L’autre, Miquel Rovira, est également un romancier obsédé, tout comme Balaguer, par la réalisation de son Œuvre littéraire. Les deux hommes vont évidemment se rencontrer. On se dit qu’ils pourraient avoir bien des points en commun mais, en réalité, tout les oppose. Balaguer écrit en castillan, ce que lui reproche Rovira qui estime qu’un Catalan devrait écrire en catalan. Point à la ligne. La critique qu’il formule après avoir terminé la lecture d’un roman précédent de Balaguer est assez cinglante:

Le résultat aurait été bien meilleur si tu l’avais écrit en catalan
— En catalan? s’étonne Balaguer.
— Oui, l’idée n’était pas mauvaise. Le problème, c’est la langue. Il est écrit dans un castillan empesé et orthopédique. Un castillan pas naturel. On voit qu’il a été pensé en catalan. (p. 59)

En fait, l’avenir de la langue catalane est l’unique préoccupation de Rovira . Son projet est d’en illustrer la prévisible disparition dans un roman à thèse plus ou moins futuriste intitulé fort judicieusement ‘Le dernier homme qui parlait catalan’. Ça vous rappelle quelque chose?

Au fil des discussions entre les deux romanciers, c’est à un véritable exposé sur l’évolution des rapports entre le castillan et le catalan auquel on assiste. Le plus fascinant est qu’il suffit de remplacer les mots ‘castillan’ par ‘anglais’ et ‘catalan’ par ‘français’ pour obtenir un portrait saisissant de la situation au Québec. Sceptique? Voici quelques exemples de situations quotidiennes dont Rovira compte émailler son récit pour illustrer sa thèse:

Un cadre dans une banque, par exemple, qui envoie ses enfants dans une école privée où l’enseignement est dispensé en castillan sous prétexte qu‘ils apprendront le catalan de toute façon, et quand ils seront grands, il leur sera plus utile de maîtriser le castillan pour voyager. Un avocat qui, pour impressionner ses clients — catalans comme lui —, saupoudre sa logorrhée de castillan (…). Un père catalan marié à une femme castillane, et qui parle castillan aux enfants pour ne pas parler dans une langue avec sa femme et dans une autre avec ses enfants. (p. 68)

Un autre exemple:

Oui, il était vrai qu’à Barcelone, ville bilingue en théorie, tous les Catalans d’origine parlaient castillan quand quelqu’un s’adressait à eux dans cette langue, mais à l’inverse peu d’entre ceux qui n’avaient pas le catalan pour langue maternelle faisaient l’effort de parler catalan quand quelqu’un s’adressait à eux en catalan, même s’ils le comprenaient ou l’avaient étudié à l’école. (p. 148)

Quelle étonnante similitude, non? Pour ma part, j’ai été frappé par ce parallélisme entre la situation du français au Québec et celle du catalan en Catalogne. Avec toutefois cette différence de taille que, s’il est possible d’imaginer la disparition complète de la langue catalane à plus ou moins long terme, il n’en est pas de même pour le français, et ce, quelque soit le destin de cette langue au Québec. On peut se consoler du fait qu’il restera toujours, outre-atlantique, des francophones pour assurer la pérennité de la langue. Quoique… la fascination qu’exerce l’anglais sur les habitants de l’Hexagone a parfois quelque chose d’inquiétant. À force d’inclusion de termes anglais pour faire ‘cool’, on peut craindre que, chez certains de nos cousins, l’équilibre général de l’apport des deux langues dans le discours ne soit en train de basculer. Mais bien entendu, ceci est une autre histoire.

Le dernier homme qui parlait le catalan fera l’objet d’une discussion organisée par la section ‘Catalogne’ du groupe d’échange littéraire ‘Lisez l’Europe’. J’en profite pour relever gentiment au passage que l’expression même ‘Lisez l’Europe’ me paraît en contradiction avec la charte des droits imprescriptibles du lecteur que propose Daniel Pennac dans son essai Comme un roman. Il me semble en effet me rappeler que Pennac avance l’idée que le verbe ‘lire’ ne devrait jamais être conjugué à l’impératif. Remarquez, c’est juste une opinion… Je ne veux pas avoir l’air de chipoter. Bon, pour revenir à la rencontre en tant que telle, elle aura lieu le mardi 8 février 2011  à l’Université de Montréal, Bibliothèque des Lettres et Sciences Humaines, salle 5120 au 3000 rue Jean-Brillant, à compter de 18h30. Plus de détails sur la page Facebook du groupe.

Une petite suggestion en terminant si vous aimez la littérature catalane je ne saurais trop vous conseiller ce très agréable roman de Teresa Solana: Des jumeaux presque parfaits. Un petit bijou de roman.

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CASAJUANA. Charles. Le dernier homme qui parlait catalan, 2009, 238 p. ISBN: 9782221113554 (traduit du catalan , évidemment, par Marianne Millon.

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