Flash back. 31 décembre 2008. Toute à ma joie du réveillon à venir, je pars bosser, le cœur léger et le bagage mince (Aznavour). Deux mètres plus tard, c’est le cœur serré et le bagage toujours aussi mince que je tente en vain de marcher jusque l’arrêt de bus. Jamais vu ça de ma si courte existence : ma ville entière est une patinoire. Impossible de trouver le moindre endroit non verglacé.
Au bout de cinquante mètres à marcher comme un canard, je réalise que c’est peine perdue : une fois à l’arrêt, j’attendrai en vain un bus qui ne viendra jamais. Comme j’ai une conscience professionnelle à toute épreuve, je ne me déclare pas vaincue et j’appelle Mostek, qui vit pas loin de chez moi et part bosser bien plus tard que moi. Nous décidons que je la rejoindrai chez elle et que nous aviserons en fonction de l’état des routes. J’entame donc un long périple jusqu’à chez elle. Par temps sec : 5 minutes. Avec ce verglas : 30 minutes, entrecoupées de gros jurons, de « c’est quoi ce temps de merde et ce pays de merde », de glissades diverses et variées, dont la pire m’obligeant à m’accrocher à un mur pour éviter la chute. J’aime vraiment pô ça, le verglas. Limite si je préfère pas la neige, avant qu’elle ne se tasse : quand on marche dedans, on glisse pas.
Comme Mostek est téméraire, c’est bien en tuture que nous regagnons ensuite le bureau. Sans encombre. Le chemin entre l’endroit où elle stationne et la porte qui nous sépare de la chaleur, de la quiétude, des dossiers et des clients horribles charmants est un second désastre pour moi qui n’ai aucun équilibre dès qu’un grain de glace est sous mon pied.
Retour vers le futur, savoir en ce 2 février 2011. Après un mois de décembre digne du Québec, ces dizaines de centimètres de neige, ces congères jamais vues auparavant, cette gadoue au dégel, dégel qui a duré des jours et des jours, je pensais que l’hiver nous avait quittés. Oui, ça va, je sais, le printemps c’est le 31 mars, mais pour moi « mars » rime avec « beau temps », et ce dès le 1er jour du mois. Donc pour moi toujours, l’hiver, c’est plutôt novembre décembre janvier que janvier février mars. Ça a toujours été ainsi, même si j’ai conscience d’être en décalage par rapport à la véritable météo.
Alors, en ce 2 février 2011, lorsque j’ai entendu sur Contac’, la radio au dauphin bleu, qu’il fallait faire attention au verglas, qu’il y aurait des perturbations dans les bus et tout, j’ai même pas fait gaffe. Après avoir affronté décembre, janvier, ça sera finger in the noze, verglas ou pas.
En sortant de chez moi, je tâte cependant le terrain du bout du pied. Ça glisse pas. Ni sur mon trottoir, ni sur la route. Rassurée, j’entame ma marche jusqu’à l’arrêt de mon bolide avec chauffeur. D’un pas dynamique.
Au coin de la rue, je repère un suspect. A cette heure matinale, toute personne croisant mon chemin est suspecte. Tout animal aussi d’ailleurs. Le suspect ne bouge pas, il semble penché sur sa chaussure, mais c’est peut-être une tactique pour s’emparer de mon sac lorsque je passerai à sa portée.
Vaillamment, je continue ma route, accélérant le pas.
Et c’est là que je glisse sur une énorme plaque de verglas, cachée sur un trottoir, la garce. Epaisse et mousseuse, comme si un seau d’eau savonneuse avait été jeté juste avant que je ne passe, exprès. Nouvelle tactique du suspect ? Me faire glisser puis me dépouiller ?
Dans ma glissade, je parviens à garder l’équilibre et à ne pas me retrouver les quatre fers en l’air, mais je ne réussis pas à m’empêcher de pousser un cri d’effroi assorti d’un « mais c’est quoi ce truc qui glisse ? »
Et c’est là que le suspect se met à parler. Enfin la suspecte. Elle me dit « c’est du verglas ». Clair et net, j’ai l’air blond avec ma question à six sous posée à haute voix. Je discute alors avec la suspecte, plus du tout suspecte, qui m’apprend qu’elle est tombée en faisant son jogging, que je dois faire attention et tout et tout.
Je marche ensuite à petits pas prudents vers l’arrêt de bus. J’attrape un bus, en retard, vu que certains ne circulent pas, et je pars enfin au turbin.
J’y arrive en un morceau. A l’arrêt, je descends et entame une nouvelle marche jusqu’au bureau. Bon, « marcher » n’est pas le mot adéquat, vu que le trottoir est une patinoire. Pire que la mini plaque sur laquelle j’ai failli m’étaler auparavant. C’était de la gnognotte que cette plaque. Ici, pas un centimètre carré du trottoir ne semble épargné.
J’avance donc lentement, tel un cygne qui sort de l’eau (Zavez déjà vu un cygne qui marche ? Il a la grâce d’un pachyderme, une grâce inversement proportionnelle à celle du cygne sur l’eau). Très lentement.
Et ce qui devait arriver arriva, comme dit toujours ce bon vieux Bob (pas Bob l’éponge, Bob Boutique, le célèbre auteur bruxellois).
Après deux mètres à peine, à l’endroit où le trottoir est en très légère pente, je sens mon pied droit glisser tout seul. Suivi de mon pied gauche. Voilà, je vais tomber. Et je ne saurai jamais me relever, c’est clair et net. Je cherche du regard quelque chose à quoi me raccrocher et repère quelques branchages de haie, que je saisis prestement. Bien sûr, si je m’étale, les branches me suivront, je ne me fais aucune illusion. Alors je tente un rapprochement vers le piquet de béton qui soutient la haie, et je m’y accroche telle une naufragée à sa bouée. Même accrochée, mes pieds n’ont toujours aucune stabilité. Alors je reste scotchée à mon poteau.
Et je ris du spectacle que je donne aux automobilistes. Et je prie pour que, dans la pénombre, ils ne me voient pas. Et je me dis que ça ne peut pas durer. Que je ne peux attendre le dégel ainsi. Que le jour va se lever, que d’autres bus vont arriver, que je dois « mover ». Que ça fait trente bonnes secondes que je suis immobile, et que ça ne fera pas avancer le schmilblik.
Mais comment faire ?
Revenir en arrière, d’où je viens, là oùsque marcher était encore possible. Ou presque.
Alors je fais un périlleux demi-tour, je retourne sur mes pas et je me dirige vers la route. Bingo, elle est pas verglacée, la route. Alleluia. Je rejoins ensuite mon bureau par la route, non sans devoir affronter, en Indiana Jones de la Sibérie belge que je suis, divers aléas : une rue à traverser, un trottoir gelé, un nid de graviers scotchés et glissants, de la pierre bleue avide de me faire tomber et un gazon maudit.
Le pire dans tout ça : ce jour, 2 février 2010, est supposé être celui de la fin de l’installation de ma cuisine. Tout est quasi prêt… manque juste l’essentiel : raccordement de l’évier, placement des taques de cuisson, du frigo et du congélateur. L’essentiel quoi… Et chais pas pourquoi, j’ai comme un horriiiiible, un trèèèèès horriiiible pressentiment…
Le meilleur dans tout ça : ce verglas crée des liens. Il délie les langues, et c’est bien sympa, parfois, un brin de causette le matin.
PS : le verglas n’aura pas entamé la progression des cuisinistes, ouf ouf ouf. Photos suivent…