Au début de l’ordinateur, mon frère qui tentait par tous les moyens de pression de me convaincre que cette chère petite bébelle, outil de l’avenir, allait me rendre la tâche facile pour monter l’hebdomadaire pour lequel nous travaillions tous les deux (avec quelques autres bien sûr). Ça irait plus vite, "c'est une affaire de rien", "ça se fait le temps de le dire", "tu pourras en faire beaucoup plus". Oui, j’en fais plus, mais tellement plus que finalement, ça ne va pas plus vite.
Dans les derniers dix jours, j’ai monté une brochure de 70 pages, un dépliant en trois volets, mis à jour un site Internet et j’ai envoyé l’illustration de la page couverture de mon livre Les Têtes rousses. Ça peut paraître beaucoup, mais parfois je peux passer une heure sur un détail et plusieurs heures seulement pour envoyer 53 Mo de fichiers, certains compressés, par courriel. Pour tout ce travail, je dois jouer dans une douzaine de logiciels, ce n'est pas vrai que je les connais tous à fond.
Encore ce matin, une grosse heure à chercher comment la pagination d’une brochure s’inversait une fois dans PDF. Une heure à tâter, à faire des essais, ajouter un page blanche à droite ou à gauche, à poser la question sur Google, à chercher autant dans mon logiciel de mise en pages que dans Adobe Reader. Finalement, j’ai trouvé : un crochet à ajouter dans Adobe Reader/affichage/afficher page de couverture 2 pages.
Une heure pendant laquelle je n’ai rien fait de bien créatif. De la technique. Et c’est comme ça pour chaque détail. Je suis devenue une technicienne, autodidacte en plus, ce qui fait que c’est plus long. Adieu la créativité pour laquelle il faut avoir la tête libre.
Je cours après le temps parce que l’ordinateur nous permet tellement d’en gagner qu’au cours des années, j’ai développé mon talent de graphiste: parfois plus de technique, de patience, de recherches que de réelles créations. Je cours après le temps parce que je le perds dans la technique, ce qui m’en laisse peu pour la créativité.
Mais j’aime ça. Je suis contente quand je réussis, quand le produit final est à mon goût et au goût du client, peu importe le nombre d’heures que j’y ai mis. Sauf que j'ai l'impression de ne pas avancer.
(Illustration de Print Master)