La Vanne.

Publié le 05 février 2011 par Douce58



  



      Pour l’irrigation des vastes jardins maraîchers qui s’étendaient alentour, on avait en effet installé ici un dispositif de barrage, qui consistait en une haute et large vanne de métal, qu’on pouvait lever et abaisser au moyen de crémaillères. La vanne était flanquée d’une sorte de quai en briques roses percé d’un passage, qui permettait aux eaux dérivées du ruisseau principal de lancer une reconnaissance vers l’avenue Joffre, qu’elles rejoignaient et traversaient souterrainement un peu en amont du manoir de la demoiselle au grand chignon.      A proximité immédiate de « la vanne » il y avait le mas Boneta. Son entrée était gardée par un grand chien noir. Michel D. et ses camarades, dont je faisais partie, venaient pêcher à la « vanne », en déjouant la surveillance du grand chien. Quand un poisson -chevesne ou barbillon- était capturé, nous l’emportions de toute la vitesse de nos jambes, afin d’éviter qu’il ne s’asphyxie, jusqu’aux Jardins Ouvriers, distants de quelque deux cents mètres. Là, Michel D. le libérait dans l’eau de son bassin. Le poisson y vivotait quelque temps, puis il était remplacé par un autre et rendu, s’il était encore vif, à son ruisseau natal.      Mais, ce qui faisait le sel de l’aventure, c’était que notre course échevelée s’effectuait toujours avec le grand chien noir sur nos talons. Cette bête d’enfer nous poursuivait jusqu’aux deux tiers du chemin, sans aboyer toutefois, puis s’arrêtait brusquement, semblant renoncer à nous donner la chasse. Elle nous faisait très peur, mais en même temps, elle faisait partie du jeu et nous donnait des ailes, en quelque sorte. Un jour, étant l’un des plus jeunes de la bande, je fus pris d’un point de côté et contraint d’arrêter ma course. Mes camarades, lâchement, ne pensèrent qu’à sauver leur peau et ils m’abandonnèrent sur place. Et j’étais là, au milieu du chemin, hors d’haleine, terrorisé, persuadé que le chien allait me dévorer. Or, l’animal, au lieu de bondir sur moi, se mit à trotter gentiment, la langue pendante, et s’approcha comme pour jouer. Alors, de plus en plus rassuré, je lui parlai (« bon chien, gentil chien ») et finis par lui caresser la tête et le dos, ce qu’il sembla apprécier. En fait, il ne nous poursuivait que par jeu. A partir de ce jour, quand je retournais avec mes camarades ou  seul  à la « vanne », le chien me reconnaissait, venait à moi et nous formions une paire d’amis.     Je m’attarde encore un peu au bord du ruisseau de mon enfance, aujourd’hui depuis longtemps disparu, recouvert d’une dalle de béton, pour dire ses merveilles. Il était profond par endroits et poissonneux. Des bancs de goujons en tapissaient le fond, des barbillons moustachus, des chevesnes tout bleus vivaient parmi ses pierres et ses herbiers accueillants et sa surface verte était arpentée par les « cordonniers » aux longues pattes. Des libellules aux vives couleurs se posaient délicatement sur ses roseaux et même sur ma canne à pêche. C'est là, sur le quai en briques roses, près de la vanne, que mon père m’apprit à pêcher. En me donnant trois brins de roseau, un fil de nylon, un flotteur bleu ciel, quelques petits plombs et un hameçon, il me lança sur bien des ruisseaux et des rivières futurs...    Quand, après la pluie, les eaux devenaient boueuses, les anguilles sortaient et, ayant avalé le ver de terre avec l’hameçon, promenaient longuement le flotteur de la ligne parmi les remous. Quand le ruisseau était redevenu limpide, on pouvait voir sur les fonds sableux des moules d’eau douce tracer leur sillon. Et sous les frondaisons des chênes, des frênes et des osiers, qui ombrageaient les berges, filait au ras de l’eau, provoquant toujours ma surprise ravie, la flèche bleue du martin-pêcheur.