Magazine Journal intime

Monsieur Marez.

Publié le 05 février 2011 par Douce58

       C’est en classe de Seconde que j’eus Monsieur Marez.  Ce professeur d’histoire et de géographie était un vétéran du lycée Arago. Il avait eu mes oncles pour élèves.  L oeil bleu, le cheveu blanc taillé en brosse, enveloppé en hiver dans une ample pèlerine noire, il entrait, le matin, cigare au bec, dans la cour du lycée, comme un combattant entre en lice. Ses ennemis invisibles avaient noms : ignorance, sottise, esprit étroit, comportement moutonnier...  A son pas décidé, on sentait qu’aujourd’hui encore il allait rompre quelques lances contre eux.
      Monsieur Marez était originaire du Jura, mais, exerçant à Perpignan depuis de nombreuses années, il s’était pris d’amour pour le département des Pyrénées-Orientales.  Il le connaissait comme sa poche, jusqu’au hameau le plus écarté, jusqu’à la chapelle romane la plus secrète.  Il avait publié des articles et des ouvrages qui faisaient encore autorité, notamment sur l’orographie et l’hydrographie de la contrée (Les inondations de 1940 en Roussillon).  Protestant fervent, il prônait l’esprit critique et le libre examen.  Au risque de concurrencer ses collègues de français et de philosophie, il s’attardait longuement dans son cours sur Pascal et sur Descartes, dont le Discours de la Méthode avait à ses yeux valeur fondatrice et universelle.  C’est Monsieur Marez qui nous apprit à prendre des notes rapides et à composer un plan, techniques précieuses, qui devaient nous aider grandement par la suite dans nos études.  Quelquefois, entraîné par son sujet volontiers spirituel, il se lançait dans une vibrante profession de foi ou dans l’éloge du pari de Pascal, au risque d’égratigner un peu l’esprit purement laïque...   Mais il avait été sur tous les fronts et ne craignait personne.  Catholique converti à la religion réformée, responsable scout, militant de la J.E.F. (Jeunesse de l’Empire Français), il était l’un des professeurs les plus brillants du lycée Arago et donnait des cours à la toute jeune Université de Perpignan.  Son autorité était reconnue, son prestige incontesté.  On disait : « le professeur  Marez », et il avait sa place parmi les personnalités les plus en vue de la ville.      Monsieur Marez était cependant très proche de ses élèves. Il les considérait comme ses « prochains ». Un temps, que je n’ai pas vécu, il leur avait même demandé de le tutoyer. Depuis, il était revenu à des relations moins familières dans leur forme, ce qui ne l’empêchait pas de passer affectueusement son bras autour des épaules de ses disciples.Un jour, en dehors du temps scolaire (c’était un jeudi, très probablement), il nous emmena en excursion.  Pas toute la classe, les volontaires seulement.  Je fus du nombre, avec trois ou quatre autres élèves.  Il y avait un certain Camps, un certain Subra, « pencul » (interne) originaire de Saint-Feliu -d’Avall, surnommé « Seize » en raison de la note qui revenait le plus souvent dans ses résultats…  J’ai oublié le nom des autres (qu’ils me pardonnent, mais il y a bien longtemps de cela).  Nous allâmes à Casefrabre, un hameau perdu dans les Aspres, puis à l’abbaye de Saint-Martin du Canigou
      Monsieur Marez lisait pour nous le paysage à livre ouvert.  Il nous parlait du relief, des cultures (c’est lui , le Jurassien , qui, le premier, me nomma en catalan les cultures en terrasses, les feixes), de la végétation et de l’histoire attachée à ces lieux.  A Saint-Martin, il fut intarissable, passant du recensement des principaux sommets du massif du Canigou avec leurs altitudes (« le pic de Tres Estelles : deux mille quatre-vingt dix-neuf mètres! »), à l’historique de la Tour de Goa et, avec érudition, à celui de l’abbaye elle-même.  Il évoquait de manière inspirée les figures du Comte Guifred de Conflent et de Cerdagne, qui en fut le fondateur et de Monseigneur Carsalade du Pont, évêque de Perpignan, qui en fut le restaurateur.   
      C’était la fin de l’année scolaire.  Il faisait déjà chaud.  L’ascension sous le soleil, l’attention soutenue que nous avions portée aux riches explications de notre professeur, nous avaient donné soif.  De son côté, Monsieur Marez, qui avait non seulement marché mais abondamment parlé, avait la gorge sèche lui aussi.  Il nous offrit une cannette de bière à la buvette de l’abbaye, en nous représentant que la bière bue avec modération était une boisson saine, mais que chaque verre de pastis enlevait un jour à la vie d’un homme...

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