Mademoiselle Jacky.
Publié le 05 février 2011 par Douce58Nous accompagnant dans nos promenades, il y avait aussi Mademoiselle Jacky, une jolie brunette, dont j’étais un peu amoureux et qui faisait preuve envers les petits galopins confiés à sa garde d’une patience et d’une douceur véritablement angéliques. Elle se destinait d’ailleurs à une vie pieuse. Je ne sais pas ce qu’elle est devenue. Peut-être est-elle entrée dans les ordres...
Ainsi nous allions, le dimanche, sur les chemins en chantant Ne pleure pas, Jeannette ou Si j'avais les souliers... Le chemin de la Poudrière nous menait à « la Planche ». Une passerelle de bois sur le ruisseau, de grands platanes, dont les pieds baignaient dans l’eau, des massifs de genêts, des sentiers de berge qui s’enfonçaient dans des bosquets de lauriers. Jeux de piste, toujours en vue du ruisseau, au bord duquel, quelquefois, nous tombions sur un paisible pêcheur, qui surveillait le flotteur rouge de sa ligne, dansant dans les légers remous. Le chemin du Sacré-Cœur sinuait entre des haies vives, hérissées de caroubiers aux longues épines. Il allait rejoindre à travers champs le chemin de Torremila, qui débouchait sur la patte d’oie du Haut Vernet. A la jonction des deux chemins, on trouvait l’institution catholique Saint-Louis de Gonzague. J’ai un souvenir morose de ce lieu et en particulier du terrain de sport, que l’institution mettait gracieusement à la disposition de notre patronage. Nous y disputions des parties de football, que je trouvais ennuyeuses et fatigantes. A courir après le ballon je préférais courir pour éprouver mon endurance dans les couloirs de l’aire d’athlétisme. Matérialisés par des rampes de métal, ils revenaient toujours sur eux-mêmes, à la façon d’un petit labyrinthe. Le père Coreau s’inquiétait un peu de me voir quitter le terrain de football et mes camarades.
- Alors, Pierre, qu’est-ce qui se passe ? Tu ne veux plus jouer ?- Non, Père, je ne me sens pas en forme…
Il ne relevait pas cette réponse paradoxale, alors qu’il me voyait capable de courir longtemps et pour mon propre compte. Il devinait sans doute que derrière mon comportement rebelle et individualiste il y avait parfois un réel besoin de solitude... Ce besoin me portait d’ailleurs facilement à un repli amer et mélancolique sur moi-même:
(Pierrot, qu'est-ce que tu as? Pourquoi fais-tu cette tête? me disaient mes parents). Quelquefois aussi, il s’assouvissait, s’accomplissait dans de délicieux instants de contemplation. Pour cela, il me suffisait de regarder le soleil couchant, assis seul en tailleur à l’entrée de mon tipi planté au milieu du champ en friche du mas Montserrat. Mon chemin préféré était celui de Negueboos. Il s’ouvrait au débouché de la rue de l’ancien Champ-de-Mars et partait hardiment à travers la campagne. Plus large et moins encaissé dans la verdure que le chemin du Sacré-Cœur, il offrait d’amples perspectives sur les champs et les jardins. Il rejoignait la vieille route de Saint-Estève à hauteur d’un passage à niveau, peu après les « Cinq-Ponts », comme nous appelions les arches de pierre du pont du chemin de fer.