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Epitaphe du film 3D

Publié le 06 février 2011 par Zegatt

« Le téléviseur est “réel”. Il est là, il a de la dimension. Il vous dit quoi penser, vous le hurle à la figure. Il doit avoir raison, tant il paraît avoir raison. Il vous précipite si vite vers ses propres conclusions que votre esprit n’a pas le temps de se récrier : “Quelle idiotie !” »

- Ray Bradbury, Fahrenheit 451 -

Epitaphe du film 3D

Hier, entouré d’Hubert de Lartigue – peintre http://hubertdelartigue.blogspot.com/ –, de Félix Sintès – auteur de bande dessinée qui vient de publier son premier ouvrage La princesse et le jongleur http://fefe-bd.blogspot.com/ – et de sa moitié, Pauline, nous évoquions le cinéma et les évolutions qu’il avait connu depuis son siècle d’existence.
Du nanar intergalactique turc au pastiche tarantinesque en passant par les expérimentations signées Tarkovski, les coups de génie d’Hitchcock, les souvenirs émus d’un visionnage d’Excalibur ou encore l’originalité des Monty Python et le Sacré Graal, nous arrivâmes à évoquer la dernière innovation technique du cinéma : la projection de films en trois dimensions. En tête d’affiche, le Avatar de James Cameron et le Dragons des studios DreamWorks.
Depuis un an, la 3D a envahit les écrans des salles – tout comme le Blu-ray prend le relais du DVD comme celui-ci avait succédé à la VHS –, si bien qu’il est même devenu difficile d’apprécier un film sorti en trois dimensions dans une version que la technologie considère suffisamment offensante pour la bannir des salles. L’expérience avait déjà été tentée dans les années 1980 avec quelques films renvoyés aux tréfonds de l’oubli, comme le troisième épisode de la saga Vendredi 13, Meurtres en 3 dimensions (alias Vendredi 13 : Le tueur du Vendredi II pour son titre en VHS à l’époque)…
Mais quitte à jouer les prophètes de mauvaise augure, permettez-moi d’inscrire ici l’épitaphe du film 3D et d’envoyer mes condoléances à l’industrie cinématographique :
Dans sa version actuelle, le film 3D ne connaîtra pas de longévité.
Il ne survivra pas
.

Cette remarque que je lançais hier faisait suite à nos différents constats. La plupart, presque la totalité des films en trois dimensions que nous avions vus n’exploitaient pas la trois dimensions. Ils se contentaient de nous donner une sensation de profondeur, et s’arrêtaient là. A de rares exceptions comme l’ultime chapitre de la saga d’épouvante Saw ou des films à l’origine construits en 3D comme Toy Story 3 ou le fameux Dragons évoqué un peu plus haut, rien ne sortait véritablement de l’écran, qu’il s’agisse du passage d’un personnage ou de trippes bien sanguinolentes jetées à la figure du spectateur. La majorité des effets se contentaient d’être des ajouts de dernière minute sans véritable consistance pour des films souvent médiocres (Le choc des Titans) ou des œuvres plus que mineures de réalisateurs conséquents (Alice au pays des merveilles de Tim Burton).
Et puis d’un point de vue pratique, il y a l’élément financier : cette obligation de payer plus pour cet ajout souvent si limité, et surtout, payer de façon continue, puisque les lunettes dont vous vous affublez sont systématiquement jetées à la fin de la séance. Pour le coup, la trois dimensions devient l’exception, la cerise sur le gâteau qui fait que le spectateur ne vient plus pour voir, mais pour observer, bref, que l’image s’avance un peu plus, relayant la narration à un second plan et que le film, avant d’être une projection d’une histoire, devient un choc visuel. Et ce choc est payant.
Or, comme nous le disions justement, le choc tant attendu est justement l’absent de la majorité des productions. Celles-ci se contentent d’un simple effet, de baigner le film dans un brouillard visuel plutôt que d’extraire les images du plan fixe, d’exploser littéralement la perspective. Et puis, il y a ces lunettes justement, cet ajout : voir un film, ce n’est plus seulement un lieu privilégié, un vase clos de spectateurs assis face à la toile de projection, cela devient un monde dans lequel il faut pénétrer, pour lequel un effort est nécessaire afin de pouvoir seulement visionner le film. Et les porteurs de lunettes en temps normal vous confirmeront que le visionnage est rendu d’autant plus astreignant par la superposition des lunettes de vue et de 3D et que l’effort alors n’est plus seulement un état d’esprit, mais bien une sensation physique.

Pour résumer, moi, spectateur, je vais payer ma séance plus chère qu’à l’accoutumée, je vais supporter le port de lunettes pendant plusieurs heures et m’installer dans mon fauteuil en espérant voir des éléments visuels à portée de mes sens et plus seulement fixés sur une toile immobile.
Et ces espérances vont être déçues.
Parce que l’emploi de la 3D va s’avérer être plus un argument marketing qu’un véritable jeu visuel.
Parce que ce choc visuel que j’attends toujours n’aura pas suffit à compenser sur la qualité du film.
Parce que j’ai cessé d’être un simple spectateur – c’est-à-dire un être passif qui ne sait pas à quoi s’attendre et peut trouver la surprise aussi bien dans la réalisation, le jeu d’acteur ou l’histoire – et que je suis venu comme un demandeur, à supplier pour ce choc des images tant vanté.
Parce qu’un instant, j’ai été assez fou pour croire qu’une caméra filmait avec une profondeur de champs alors que la pellicule reste désespérément plate avant traitement.
Parce que j’ai cru que l’effet trois dimensions survivrait au-delà de la salle de cinéma, mais que son emprisonnement par rapport à l’écran le rend trop éphémère.
Parce que le visuel ne pourra jamais faire un film à lui tout seul.

Moi spectateur, j’ai cru en payant ma place que j’allais dans un parc d’attraction alors que je me suis simplement assis dans une salle de cinéma.
A bien y réfléchir, je ne suis pas venu pour voir un film, mais pour sentir l’image ; je ne suis pas venu pour être pris au tripes par le film, mais pour m’amuser.

Au contraire de la cérémonie des Golden Globes, la 82e cérémonie des Oscars, en 2010, n’a pas récompensé Avatar comme le meilleur film ou James Cameron comme le meilleur réalisateur, mais l’ex-femme de celui-ci, Kathryn Bigelow et son film Démineurs.
Avatar
m’a diverti, Démineurs m’a fait vibrer.

Le film 3D est au cinéma ce que le divertissement est à l’art. Au mieux une étape, au pire, une erreur de parcours.

Epitaphe du film 3D

L. T. (5/2/11)

Merci à Félix, Hubert et Pauline pour cette discussion et ces réflexions



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