J’ai une filleule, elle a 15 ans, c’est dire…
Un jour qu’elle semblait particulièrement bien disposée, je sautai sur l’occasion de prendre mon rôle de marraine enfin au sérieux.
Il s’ensuivit un échange des plus étranges…
- - Ma chérie, comment vas-tu en ce moment ?
- - Tranquille.
- - Et le lycée ?
- - C’est gavé grave.
A ce moment de la conversation, j’eus quelques doutes sur les capacités intellectuelles de ma protégée. Cependant, je ne me décourageai pas :
- - Tu sais, à ton âge, moi aussi j’avais quelques difficultés à communiquer avec mon entourage… Mais, je suis ta marraine, tu peux tout me dire.
Je lui entourai les épaules d’un geste affectueux, l’incitant ainsi à s’épancher sans retenue.
Elle se dégagea, planta ses yeux bleus dans les miens et lâcha :
- - Stave…
La perplexité me laissa sans voix. Quel langage était-ce donc ? Cette enfant était-elle plus atteinte que je ne le pensais ?
- - Stave ? répétai-je doucement.
- - Pas stave, stave ! Tu dis stave, faut prononcer « staive » !
- - Ah ? Mais de quelle langue s’agit-il exactement ?
- - Dis-donc, t’es bolos toi ! Faudrait qu’t’arrêtes de parler qu’à des vieux…
Cet échange devenait de plus en plus étrange…
Soudain, son visage s’illumina, elle m’attrapa le poignet pour détailler une vieille breloque qui me servait de bijou.
- - Waaaa, trop stylééééééé ! s’exclama-t-elle, ravie, fais gaffe à pas t’le faire douiller !
Je ne cherchai pas à traduire, il était évident qu’elle avait un sérieux problème de vocabulaire.
- - Il est beau n’est-ce pas ? répondis-je, heureuse de la voir enfin sourire.
- - Trop aps !
- - Tu veux l’essayer ?
- - Je peux ?
- - Bien sûr ! Regarde, on le met comme ça.
Elle prit le bracelet, l’accrocha à son poignet.
- - Comasse ?
- - Hé ho ! Pousse pas trop, d’accord ? Vous avez peut-être l’habitude de vous traiter de c…..sse, mais n’oublie pas qui JE suis ! Un peu de respect, je te prie !
Sa sœur aînée fit irruption dans la pièce, intriguée par ma tirade suraigüe :
- - C’est quoi l’blème ?
La cadette lui fit un compte-rendu de la situation dans un dialecte des plus incompréhensibles. Je me doutai bien que j’en prenais pour mon grade car elles étaient hilares, ce qui acheva de me mettre au comble de l’exaspération.
- - Oh, des barres ! hoqueta ma filleule, la cassos !
- - Encore plus à l’ouest que je ne pensais, renchérit l’autre insolente, ignorant totalement ma présence.
Défaillante d’agacement, je leur ordonnai de s’expliquer ou de s’extraire immédiatement de ma vue.
- - Marraine chérie, c’est comasse, pardon, « comme ça » qu’on parle aujourd’hui. C’est le langage des djeun’s. Allez, on va t’expliquer…
- - Tu sais, à part ça, t’es plutôt fraîche pour ton âge, crut bon d’ajouter l’aînée, sourire aux lèvres.
Non, je ne traduirai aucun de leurs propos, il n’y a aucune raison pour que je sois la seule à me taper l’affiche!
Certes, ce billet est une rediff d'Août 2009, si certaines expressions ont cédé la place à de nouvelles, d'autres demeurent d'actualité.