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7 février 1935 | Léon Trostsky, Journal d’exil

Publié le 07 février 2011 par Angèle Paoli
Éphéméride culturelle à rebours


7 février 1935.

  Le journal intime n’est pas un genre de littérature auquel je sois porté. Je préfèrerais en ce moment un quotidien. Mais je n’en ai pas... Coupé de la vie politique active, je suis obligé de recourir à ce succédané de journalisme qu’est le journal personnel. Au début de la guerre, retenu en Suisse, j’ai tenu un journal pendant quelques semaines. Puis pendant une courte période en Espagne, en 1916, après mon expulsion de France. Je crois que c’est tout. Et me voilà obligé d’y revenir. Pour longtemps ? Peut-être pour des mois. En tout cas pas pour des années. Les événements ne peuvent que se dénouer dans un sens ou dans l'autre — et fermer le cahier. Si même il n’est pas fermé plus tôt encore par le coup de feu tiré de quelque coin par un agent... de Staline, de Hitler, ou de leurs amis-ennemis français.
  Lassalle a écrit un jour qu’il renoncerait volontiers à écrire ce qu’il savait s'il pouvait seulement réaliser, fût-ce partiellement, ce qu’il était capable de faire. C’est un vœu que ne comprend que trop bien tout révolutionnaire. Mais il faut prendre les circonstances telles qu’elles sont.
  Justement parce qu’il m’a été donné de participer à de grands événements, mon passé me ferme maintenant la possibilité de l’action. Il ne me reste que d’essayer d’interpréter les événements et de tâcher de prévoir leur déroulement à venir. C’est une occupation capable, en tout cas, de donner de plus hautes satisfactions que la lecture passive.
  Je n’ai guère de contacts avec la vie, ici, que par les journaux, et un peu par les lettres. Rien d’étonnant donc si mon carnet ressemble, pour la forme, à une revue de la presse périodique. N’empêche que ce n’est pas le monde des journalistes qui m’intéresse en lui-même, mais le travail de forces sociales plus profondes, tel qu’il se reflète dans le miroir déformant de la presse. Cependant il va de soi que je ne me limite pas d’avance à cette forme. L’avantage du journal intime — le seul, hélas — c'est qu’il permet de ne se soumettre à aucune obligation ou règle littéraire.

Léon Trotsky, [Premier Cahier], Journal d'exil, Éditions Gallimard, Collection folio, 1977, pp. 37-38. Traduit du russe par Gustave Aucouturier.



■ Voir aussi ▼

→ (sur scribd.com) le texte intégral du Journal d’exil de Trotsky (+ la préface d’Alfred Rosmer, 12 février 1959)



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