Magazine

Une autre, patron (2)

Publié le 09 février 2011 par Zegatt

Il souffla une longue volute sombre. Les couleurs s’éclaircirent, le soleil pointait lentement à travers les bâtisses jusqu’à la fenêtre.

« L’histoire reste la même de toute façon. C’est une histoire de solitude.

- Pourquoi être aussi fataliste ?

- C’est pas du fatalisme ; je dis juste que l’autre t’offre pas, elle t’offre jamais un complément à ce que toi, tu trimballes sur tes épaules, à moitié épuisé et haletant vu que tu crapahutes avec depuis que t’as vidé tes poumons en gueulant pour la première fois.

- Et donc ?

- Donc il reste la compréhension. »

Il me rattrapa, leva le bras, écartant l’index et le majeur tendus. Le serveur leva le pouce. Il enfonça de son poing fermé les rebonds de sa joue en expirant sa dernière bouffée de tabac. Après avoir écrasé la cigarette, il contempla son verre vide suintant de bière.

« C’est beaucoup l’air de rien. Beaucoup. »

Sa langue lapa le contour de ses lèvres, humectant les lignes rougeâtres.

« Ce que tu cherches est limité. On est tous de foutus aveugles : d’abord répondre aux besoins physiques. T’as le corps qui gueule, qui gueule comme un dératé, et il faut que tu lui répondes. Que tu le foutes à sa place et qu’il te lâche les burnes – ou qu’il te les vide. Mais ça, ça tient pas. Que tu le veuilles ou non. Il faut plus. Et ça se passe plus au même endroit. Boum. Pas de bol. »

Charles tapa sa poitrine et son crâne à la façon d’un primate. Imprégnés par les gouttes de bière, les dessous de verre avaient changé de couleur. Deux pour moi, au moins quatre en face. Je n’aurais jamais osé parier ne serait-ce que sur un match nul. Il gagnerait toujours. Un flot régulier s’était mis à occuper la rue. Imperturbable et, vu d’ici, inutile.

« Alors, tu te retrouves avec tes burnes, tes tripes et tes neurones. Forcément, l’adéquation devient plus bordélique une fois que l’équation est passé à trois inconnues par personne, surtout que la première inconnue était mesurable, et pas les suivantes. Tu peux faire l’impasse, bien sûr, mais ça reste de la durée déterminée. Ca finit par être blasant. Ca manque de charme, même si les formes en ont. Qu’est-ce que tu veux, il faut bien arrondir les angles à terme. Un cul à angle droit, c’est moche. »

Ses yeux se perdirent un instant. Les degrés étaient montés.

Une autre, patron (2)



Retour à La Une de Logo Paperblog