J'ay pris cent et cent fois la lanterne en la main" />
Jean-Léon Gérôme (1824-1904)
Diogène, 1860
Huile sur toile, 74,5 x 101 cm
Baltimore (Maryland), The Walters Art Museum
Source
SATYRE XIV*
J’ay pris cent et cent fois la lanterne en la main**,
Cherchant en plain midy, parmy le genre humain,
Un homme qui fust homme et de faict et de mine,
Et qui peust des vertus passer par l’estamine.
Il n’est coing et recoing que je n’aye tanté
Depuis que la nature icy bas m’a planté :
Mais tant plus je me lime et plus je me rabote,
Je croy qu’à mon advis tout le monde radote,
Qu’il a la teste vuide et sans dessus dessous,
Ou qu’il faut qu’au rebours je sois l’un des plus fous.
C’est de notre folie un plaisant stratagesme,
Se flattant, de juger les autres par soy-mesme.
Ceux qui pour voyager s’embarquent dessus l’eau
Voyent aller la terre, et non pas leur vaisseau*** :
Peut-estre ainsi trompé que faucement je juge ;
Toutesfois, si les fous ont leur sens pour refuge,
Je ne suis pas tenu de croire aux yeux d’autruy :
Puis j’en scay pour le moins autant ou plus que luy.
Voylà fort bien parlé, si l’on me vouloit croire.
Sotte presomption, vous m’enyvrez sans boire !
Mais après, en cherchant, avoir autant couru
Qu’aux Avants de Noël fait le Moyne Bourru**** ,
Pour retrouver un homme envers qui la Satyre
Sans flater ne trouvast que mordre et que redire,
Qui sçeust d’un chois prudent toute chose éplucher,
Ma foy, si ce n’est vous, je n’en veux plus chercher.
Or ce n’est point pour estre eslevé de fortune :
Aux sages comme aux fous c’est chose assez commune ;
Elle avance un chacun sans raison et sans chois :
Les fous sont aux echets les plus proches des Roys. […]
Mathurin Régnier, Satyre XIV (extrait), Œuvres Posthumes in Œuvres complètes, Éditions Fernand Roches, Collection Les Textes français, 1930, pp. 127-128. Texte établi et présenté par Jean Plattard.
Source
Notes d’A.P. :
* Cette satire fut publiée pour la première fois en 1613. Elle fait l’éloge d’un homme d’État qui fut « cinquante ans aux honneurs eslevé. » Peut-être s’agit-il de Sully.
** Tel Diogène, le philosophe cynique.
*** Idée et image empruntées aux Essais de Montaigne, II, 13.
**** Dans les superstitions populaires, c’était une âme en peine, un fantôme qui courait les rues, maltraitant les passants.
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