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Publié le 10 février 2011 par Banalalban

Lequel de nous deux assume ce moment là ? Regarde, la promesse du sang coule depuis la table, imbibe la nappe et goutte au sol, se répand et le carrelage s’en abreuve déjà à l’interstice. Petite mouche que tu es sur ma toile. Si tendre… et vulnérable…

La nuit te recouvre déjà à mesure que ma main se pose délicatement sur ta nuque découverte, offerte. Tu n’as aucune idée de qui je suis ni de ce que je suis. Tu ne le sais pas encore, mais tu es amoureuse de moi car je t’égratigne la nuit quand tu dors. Ma douce amère…

Mes doigts glissent déjà le long de ton cou si doux. Abandonné. Là où ta peau devient tendre, si blanche et presque bleue, j’y dépose une corde, une longue corde attachée. Et douloureuse…

J’y noue un long sac rempli de pierres si lourdes qu’elles ne te permettront pas de remonter. Et tu te noieras à mesure que tu t’alièneras à moi. La nuit déposera un tulle d’abjection sur ta noyade et je grandirai. Je m’en excuse : je te ferai une belle tombe, promis, j’utiliserai les pierres, mais désolé : je ne suis pas du genre à aimer…

J’en ai un marécage plein des filles qui m’ont aimé et m’aiment encore tant je ravive leurs sentiments à grands coups d’égratignures. Mon cœur est abject, j’ai besoin de ces meurtres perfides qui consistent à être aimé sans aimer. Déjà je vois ton œil mourir, se voiler, cataracte : tu me regardes, tu es déjà morte jeune fille… inutile de te débattre encore… n’abîme pas ta jolie peau de la sorte… je m’en occuperai moi-même…

De toute façon, je ne me souviens déjà plus de toi. Je passe à une autre et lui souffle à l’oreille : « Lequel de nous deux assume ce moment là ? » et elle aussi s’abandonne à la fascination. Regarde : je peux poser ma main sur sa joue et la faire frémir de désir. Pourtant, tout comme toi, elle ne sent pas à quel point ma main est froide et pleine du sang du marécage...

Ce moment est si doux à mesure que tu bascules et que le sac se fait lourd sans que tu en ressentes le poids. C’est à cause de mes yeux dans lesquels tu te noies. Mais j’ai d’autres eaux pour toi et celles qui t’y attendent t’aiment déjà : elles se pâment. Toutes. Sans exception. Avec leurs sacs. Toutes. Elles. En d’autant de longues grappes flottantes sous la surface...

Sens tu déjà que je lâche la corde et sa longue charge ? Sens-tu l’odeur putride de l’eau croupie qui enjambe ta chevelure dorée déjà humide ? Peut-être prendrai-je le temps d’un peu te recouvrir, après, quand les algues se seront formées sous tes ongles, et les sangsues abreuvées de tes angles. Dans un temps. La lune nous regarde… chut… tu aimes déjà le monstre…

Tu meurs comme je t'abreuve, dans un silence moiré...

Non, je ne me souviens pas de toi… tu es déjà partie. Qui es-tu, rappelle moi? Une parmi toutes les autres, certainement… celles qui me nourrissent et qui m’aiment… et qui pourrissent dans l’eau amère. Face aux vagues, tu hoquettes : l’eau rance te remplit les poumons et les sirènes mortes hurlent ton nom… non, je suis le monstre et tu l’aimes…

Tu rejoins la grappe des filles mortes dont les poissons se nourrissent et moi je marche, traînant mon sort de trop aimer me faire aimer, parmi les herbes hautes et les roseaux qui rejoignent la nuit noire et les brouillards laiteux du crime...

Je ne me souviens déjà plus de vous. Je n'ai plus foi aux charmes. Je crois seulement aux sacs de pierre, à mes mains sur votre cou et aux marques qu’elles y laissent. Et à vos lambeaux de peau qui se disloquent sous l’action de l’eau. Mon cœur est sordide, il suppure...

"Lequel de nous deux assume ce moment-là ?"


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