Elle ouvre la porte à battants du magasin dans lequel il n’y avait
Ni client ni cliente ni vendeur ni vendeuse ni patron ni patronne ni homme ni femme ni garçon ni fille ni visa ni visage ni pile ni face ni content ni mécontent ni ouvre-boîte ni ouvre-bouteilles ni ni ni ni
Elle regardait les habits sans plus grande conviction ni choix au préalablement préétabli
Elle cherche
Elle se cherche
Elle sait qu’elle est là
Elle sait qu’elle est là quelque part
Elle sait qu’elle est là quelque part et commence à chercher
Elle sait qu’elle-même est là quelque part et se met en quête d’elle-même
Elle regarde partout alors que dans le magasin il n’y a personne
Ni cheval ni chien ni morsure ni chat ni hamster ni violons d’ingres ni ni ni ni
Elle n'est obscène comme un masque
Elle s'éduque
Elle est plus que ce qu'elle ne veut boire
Elle doit bien la confesser la peine, sinon elle la noit
Elle est très reine quelque part
Et puis elle voit la porte au fond du magasin et elle sait que derrière se trouve une partie d’elle-même
À la remise, jachère
Elle se sait peinte en rouge
Elle est une sainte
Elle veut être sûre et certaine
Elle ne change pas
Elle est très saine
Elle s’approche lentement de la porte au fond du magasin
Doucement tend la main vers la poignée
Doucement tend la main vers la poignée qui lui semble brûlante
Fais jouer le penne dans la serrure silencieuse, très bien huilée
Elle a été là, là et là, très honnêtement, là où aucune femme n'est jamais allée la la la la
Elle essaye de briller
Elle boit de l'eau judicieusement placée
Entrouvre la porte
Entrouvre la porte et pénètre les ténèbres
Ses yeux fixent le mur du fond de la petite salle du magasin
Ses yeux fixent le mur du fond et s’habituent peu à peu à la nuit qui y règne
Elle entrevoit les contours
Appréhende les lignes courbes et étranges
Comprend la réctitude des murs
Et puis la lumière se fait aveuglante
Et elle voit
Comme on voit quelque chose qu'on ne pensait pas voir
Pas de cette façon
De cette façon qui sonne comme une consonne au milieu de voyelles
Une projection
Elle fait volte-face
Sa jupe s'enroule tout autour d'elle, remonte un peu dans le mouvement
Elle court dans le magasin vers la sortie et ses portes battantes : elle est terrifiée
Elle fait le chemin à l'envers
Elle a compris ce qu'elle a vu et elle a peur
Elle appelle son nom propre Maryline "Marilyne, Marilyne, Marilyne, Maryline"
Ses bras courent eux aussi le long de son corps, des larmes de terreur s’échappent de ses yeux en long et en large
De travers
Elle court comme une insanité qui aurait été lâchée en pâture aux lâches
Elle court jusqu’à la porte qu’elle ouvre en grands fracas, traverse le trottoir d’un pas et atteint la route
Elle finit sa course près de la voiture qu’elle n’a pas vu arriver.
Ses jambes sont fauchées de plein fouet et se rompent d’un coup net, le haut de son corps est dans un premier temps projeté contre le capot de la voiture contre lequel elle se brise en trois morceaux distincts au niveau de la colonne vertébrale, son visage s’écrase contre le pare-brise, puis, son corps et ensuite expulsé contre le macadam alors que la voiture finit par piler. Ce n’est plus elle qui percute le sol mais une sorte de pantin d’elle-même, désarticulé, qui finit sa chute, disloqué, vulnérable, contre la chaussé. Son visage se fend sur le bord du trottoir au rebord duquel il se brise la mâchoire en deux fragments maintenant rendus autonomes l’un de l’autre. Son nez explose enfin, libéré, et étoile l’asphalte d’un sang diaphane marbré de morve. Ses yeux vitreux sentent la mort autour d’elle et voient ce qu’elle a vu dans le reflet de la porte à battants du magasin qui se referme lentement sur elle comme un dernier souffle rance.
Derrière la porte blanche, au fond du magasin, le projecteur murmure encore, solitaire et abandonné. Plus de spectateurs et pourtant le spectacle continue, comme monté en boucle. Sur l’écran on aperçoit en filigrane l’image d’une femme, le visage posé sur le sol, dans un bain de sang. bande son des klaxons.