“Selon [Jeremy Bentham], le gouvernement a sans doute peu à faire directement, il a en revanche beaucoup à faire indirectement : plutôt que de chercher à maîtriser directement la conduite des individus, il doit viser la maîtrise par chaque individu de sapropre conduite. A cette fin, il lui faut agir sur la façon dont l'individu se rapporte à son propre intérêt, étant entendu que l'intérêt constitue pour Bentham la motivation ultime et exclusive de la conduite humaine. Le problème est en effet que trop souvent l'individu calcule mal son intérêt, dans la mesure où la perception qu'il a de cet intérêt est gauchie et biaisée par son amour-propre. Or un individu qui calcule mal son intérêt est un individu qui se gouverne mal. L'action du gouvernement consistera justement à apprendre à l'individu à bien calculer et, en cela, à bien se gouverner. D'où, chez Bentham, l'importance d'un système de lois qui soit agencé de telle manière que l'individu intègre par anticipation dans son calcul tant l'espoir des récompenses promises que les risques de la sanction encourue. Indiscutablement, dans cette formule d'un gouvernement des intérêts par les intérêts, trouve à s'exprimer le souci d'un gouvernement de soi des individus.”
Pierre Dardot, in “Qu'est-ce que la rationalité néolibérale?”, L'appel des appels, Pour une insurrection des consciences, éditions Mille et une nuits.