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La légende

Publié le 12 février 2011 par Adamante

 

Image la légende ada

La légende raconte qu’il les avait embrassés et qu’il était parti

Qu’il était parti et qu’on ne l’avait jamais revu…

Ils s’étaient massés sur le pas de la porte

Pour le regarder partir

Pour un dernier adieu

Comme d’habitude

Il avait dit "à bientôt !" 

Comme d’habitude

Il s’était retourné

Il leur avait fait son grand signe de la main

Puis, sans une hésitation, il avait disparu dans le virage

Tout au bout du village

Eux ils étaient rentrés

Eux, ils ne savaient pas…

Lui savait

Plus rien ne l’attendait

Plus de famille

Plus de travail

La conjoncture l’avait à son tour frappé

La conjoncture !

Un mot paravent pour masquer les abus des nantis

Il n’avait pas voulu en parler

Il n’avait pas voulu les inquiéter

L’ignorance leur était préférable au tourment

Ses pas pourtant étaient sans crainte

Il avançait

Guidé par la nitescence de la lumière matinale

Dans son cœur, les pommiers étaient en fleurs

Les pommiers du jardin de la petite maison qu’il aimait

Si loin d’ici

La petite maison qui était sa maison

La petite maison qui resterait sa maison

Malgré les huissiers

Les huissiers bientôt confisqueraient la forme

Lui, il en garderait l’essence

L’amour portait ses pas

L’inconnu l’attendait

Il allait tout droit, sans but

Pour la première fois de sa vie

Alors il comprit

Il comprit qu’il pénétrait pour la première fois

la vérité de l’instant

Il était tellement présent à l’instant

Que sa propre présence s’y diluait

Qu’il y disparaissait

Qu’il quittait l’un pour être tout

Il entendait le chant des herbes

S’enivrait du parfum des cheveux de la Terre

Il avait le sentiment, lui que la solitude avait toujours accompagné

Qu’il n’était plus seul

Qu’il était dépositaire du monde

En totalité

Curieusement

En perdant tous ses repères

Il se sentait enfin à sa place

Ses pas

De plus en plus légers

Le portaient sans peine

Il escalada les talus

Courut dans les chemins

Embrassa les arbres sur son passage

Il chanta à tue tête

pour célébrer cette nouvelle force de vie

Puis il se tut

Écouta les oiseaux

Le murmure d’un ruisseau qui courait vers la rivière

J’arrive !

Oui ! j’arrive !

Comme un fou il s’élança vers le ruisseau

Il riait, il pleurait

Défait de toute certitude

Défait de toute contrainte

Défait de toute croyance

Il était nu

Il était neuf

Il était beau

Il était vivant

Il s’allongea dans le lit du ruisseau

Il devint eau

Il devint clapotis

Il devint murmure

Il s’abandonna à cette descente printanière

des sources de la montagne

Comme un nouveau-né

Sans résister

Il goûta alors la caresse des berges

Les frôlements des galets sur son ventre réjoui

Les éclats de rire en cascade sur les rochers millénaires

Qui le transportait dans la jouissance d’être

Soudain

Le silence…

Elle était là

Elle l’attendait

Il en était certain

C’était lui qu’elle attendait

Lui qu’elle espérait

Lui qu’elle chérissait depuis l’aube des temps

Ses eaux calmes reflétaient l’apex de son ciel

Il s’arrêta sous la violence du choc

Plus rien n’existait

Plus rien ne vibrait que cette certitude :

S’il avançait, il n’y aurait plus de retour possible

Elle avait l’éternité

Lui le choix du temps

Il se voyait en Elle

Il se tenait là

Grave et pur

De la pureté du Dieu Grand dans Héliopolis

Alors, cédant à l’appel

Il noya ses pas dans la rivière.

©Adamante


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