La légende raconte qu’il les avait embrassés et qu’il était parti
Qu’il était parti et qu’on ne l’avait jamais revu…
Ils s’étaient massés sur le pas de la porte
Pour le regarder partir
Pour un dernier adieu
Comme d’habitude
Il avait dit "à bientôt !"
Comme d’habitude
Il s’était retourné
Il leur avait fait son grand signe de la main
Puis, sans une hésitation, il avait disparu dans le virage
Tout au bout du village
Eux ils étaient rentrés
Eux, ils ne savaient pas…
Lui savait
Plus rien ne l’attendait
Plus de famille
Plus de travail
La conjoncture l’avait à son tour frappé
La conjoncture !
Un mot paravent pour masquer les abus des nantis
Il n’avait pas voulu en parler
Il n’avait pas voulu les inquiéter
L’ignorance leur était préférable au tourment
Ses pas pourtant étaient sans crainte
Il avançait
Guidé par la nitescence de la lumière matinale
Dans son cœur, les pommiers étaient en fleurs
Les pommiers du jardin de la petite maison qu’il aimait
Si loin d’ici
La petite maison qui était sa maison
La petite maison qui resterait sa maison
Malgré les huissiers
Les huissiers bientôt confisqueraient la forme
Lui, il en garderait l’essence
L’amour portait ses pas
L’inconnu l’attendait
Il allait tout droit, sans but
Pour la première fois de sa vie
Alors il comprit
Il comprit qu’il pénétrait pour la première fois
la vérité de l’instant
Il était tellement présent à l’instant
Que sa propre présence s’y diluait
Qu’il y disparaissait
Qu’il quittait l’un pour être tout
Il entendait le chant des herbes
S’enivrait du parfum des cheveux de la Terre
Il avait le sentiment, lui que la solitude avait toujours accompagné
Qu’il n’était plus seul
Qu’il était dépositaire du monde
En totalité
Curieusement
En perdant tous ses repères
Il se sentait enfin à sa place
Ses pas
De plus en plus légers
Le portaient sans peine
Il escalada les talus
Courut dans les chemins
Embrassa les arbres sur son passage
Il chanta à tue tête
pour célébrer cette nouvelle force de vie
Puis il se tut
Écouta les oiseaux
Le murmure d’un ruisseau qui courait vers la rivière
J’arrive !
Oui ! j’arrive !
Comme un fou il s’élança vers le ruisseau
Il riait, il pleurait
Défait de toute certitude
Défait de toute contrainte
Défait de toute croyance
Il était nu
Il était neuf
Il était beau
Il était vivant
Il s’allongea dans le lit du ruisseau
Il devint eau
Il devint clapotis
Il devint murmure
Il s’abandonna à cette descente printanière
des sources de la montagne
Comme un nouveau-né
Sans résister
Il goûta alors la caresse des berges
Les frôlements des galets sur son ventre réjoui
Les éclats de rire en cascade sur les rochers millénaires
Qui le transportait dans la jouissance d’être
Soudain
Le silence…
Elle était là
Elle l’attendait
Il en était certain
C’était lui qu’elle attendait
Lui qu’elle espérait
Lui qu’elle chérissait depuis l’aube des temps
Ses eaux calmes reflétaient l’apex de son ciel
Il s’arrêta sous la violence du choc
Plus rien n’existait
Plus rien ne vibrait que cette certitude :
S’il avançait, il n’y aurait plus de retour possible
Elle avait l’éternité
Lui le choix du temps
Il se voyait en Elle
Il se tenait là
Grave et pur
De la pureté du Dieu Grand dans Héliopolis
Alors, cédant à l’appel
Il noya ses pas dans la rivière.
©Adamante