Magazine Journal intime

Fadela ne viendra pas

Publié le 24 janvier 2008 par Ali Devine
Voici les faits, tels que je les ai compris.

L'un des professeurs du collège, Tariq Touami, a fait la connaissance de Fadela Amara à l'époque où elle n'était que la présidente de Ni putes ni soumises. Ils ont sympathisé et elle lui a donné son numéro de portable. Vint l'élection présidentielle et l'adoubement ministériel de la militante par messire Sarkozy.
Tariq, après lui avoir laissé le temps de s'installer (et d'avaler ses premières couleuvres) a passé un coup de fil à Fadela Amara. Il lui a dit qu'il travaillait dans un collège de ZEP qui marchait plutôt bien. Et il lui a proposé de venir nous rendre visite, dans le cadre du lancement de son "plan Banlieues". Intéressée, elle a accepté. L'idée des deux interlocuteurs, je crois, était une sorte de donnant-donnant : viens et fais ta pub ; nous nous chargerons de faire la nôtre (ce qui, après la suppression de la carte scolaire, n'est pas forcément inutile). La visite d'un membre du gouvernement devait aussi manifester une forme de reconnaissance de l'État envers notre réussite relative et tous ceux qui l'ont construite.

Mais évidemment, le déplacement de la secrétaire d'État ne pouvait pas se dérouler en toute intimité -ça n'aurait d'ailleurs eu que peu d'intérêt, pour elle comme pour nous. La maire (communiste) de Staincy, le recteur ont dit qu'ils voulaient en être. Le principal a pris en main l'organisation concrète de l'évènement, et a décidé de le placer un vendredi après-midi  -un créneau où le collège presque vide n'accueille que quelques options prestigieuses : grec, chorale de la classe à horaires aménagés musique, entraînements de la classe à horaires aménagés sport, jardinage et botanique. Il s'est employé, surtout, à maintenir le secret le plus opaque autour de la chose.

A J - 1, pourtant, la nouvelle a fini par s'ébruiter, et une réunion des enseignants a immédiatement été organisée par nos collègues syndiqués. On y a dit, bien entendu, qu'il était aberrant que cette visite ait lieu en l'absence de la quasi-totalité des professeurs ; qu'on refusait catégoriquement de servir de caution à la politique du gouvernement, surtout à six jours d'une grève dont l'objet était justement de dénoncer celle-ci ; enfin qu'il était indécent de vanter notre "réussite" alors que nous manquons de personnel, que les malades ne sont pas remplacés, que les classes de langue comptent parfois jusqu'à 30 élèves, et que des établissements voisins pataugent dans des difficultés dont ils ne sont pas responsables. On a essayé de définir les modalités d'une protestation symbolique. On ferait des banderoles et des tracts ; les membres du SNES passeraient quelques coups de téléphone pour mobiliser leurs camarades des alentours. Quelqu'un a suggéré en ricanant que la chorale interprète un chant révolutionnaire.
Tariq Touami a défendu son idée avec courage, mais très maladroitement : pour se disculper de toute arrière-pensée politique, il a dit notamment que s'il avait pu faire venir Jamel Debbouze il l'aurait fait. Par ailleurs, il était seul contre une salle des profs quasi-unanime et très remontée.

La visite de Fadela Amara a été annulée dans l'après-midi.

Je rapporte ce non-évènement parce qu'il me paraît illustrer la coexistence difficile de deux mentalités au sein de l'Éducation nationale. Si j'ai bien compris sa logique, Tariq distingue notre collège comme une entité particulière et relativement autonome ; il souhaiterait mettre en avant nos réussites, qu'il attribue à notre travail et à des choix pédagogiques pertinents ; pour améliorer notre sort il est prêt à passer des compromis avec notre hiérarchie -jusqu'au niveau ministériel. Beaucoup d'autres collègues pensent au contraire que nous sommes d'abord une composante d'un grand corps nécessairement solidaire, l'Éducation nationale ; ils sont surtout sensibles à ce qui nous manque, à ce qui nous est refusé, à ce qui nous a été repris ; la bureaucratie qui nous surplombe, du principal au ministre en passant par le recteur, ne leur inspire que de la méfiance.

Aujourd'hui, 19 enseignants ont fait grève à Félix-Djerzinski.

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