Mael

Publié le 14 février 2011 par Banalalban

Eodez est revenu en hurlant et elle a incendié les rues de son cri qui m'a arraché l'âme et le cœur en si peu de temps que j'ai bien cru que rien jamais plus n'aurait de résonnance comme cela : j'étais perdue.

Comment as-tu pu ? Comment Mael ?

J'ai couru moi aussi, derrière les jupons d'Eodez, je ne voyais rien du devant d'elle, jusqu'au port où l'on remarquait les longs bateaux de retour. Les marins en descendaient les mines abattues comme des soirs d'hiver et peu nous parlaient tandis que nous hurlions, folles d'inquiétude. Nos mains s'agrippaient sur leurs vêtements raidis de sels et de jus, nous tombions à leurs pieds, nous questionnions, bougeant vite, dans une écume, mais les hommes ont parfois ces regards fermés qui ne disent rien.

Mael.

Et puis il y eu ce cri sur le côté qui nous a fait nous relever et nous y diriger sur la fin du petit bac. On nous a dit : "la founouss". On a attrapé un pare à virer. Le curé était descendu tout exprès. Tous avaient des mines déconfites, le curé le pire. Les gens du village, les vieilles qui savaient ces histoires mieux que nous toutes, ont baissé les yeux pour s'ancrer dans la terre, celle qu'elles reconnaissent, les autres regardaient ailleurs. Eodez s'est mise à hucher, les autres femmes, les jeunes, de la consoler comme un seul corps.

J'ai remarqué le vent. J'ai levé la tête : il souriait, les cheveux en bataille comme un môme. La mer de son autre coté riait, si calme, mais rire franc, presque bête, animal.

Alors je me suis juste retournée. Je n'ai rien dit. Je suis partie. Personne n'a remarqué. J'ai dit : "Pardon, pardon" pour me frayer un passage dans les corps resserrés par la consolation et la douleur. J'ai remonté le petit chemin de terre alors que le vent me crachait dessus de plus belle : il ne fallait pas qu'ils croient s'en sortir comme ça. J'ai passé Porspoder, j'ai beaucoup marché. Ma jolie robe de joie blanche s'est tachée de boue. C'était le prix : je ne la porterai plus. Je bougeais vite. Comme les étoiles quand on les regarde toute une nuit au travers du sextan. Tu me les as si bien déjà racontées. Tu me les as offertes.

Le gwenod et ses pierres qui roulaient me fatiguaient mais ce n'était pas eux les ennemis déclarés. Et j'ai fait face à la mer tout au bout, là où nous venions souvent, j'ai bombé le torse, écartais les bras _ je m'offrais_ et je lui ai hurlé dessus : "Honte à toi ! Honte à toi !". J'ai pleuré comme jamais, je lui ai dit ce que je pensais d'elle et de ce qu'elle avait fait. Au vent aussi. De toutes mes forces ça m'est remonté : je ne voulais pas qu'on me voit, c'était entre eux et moi, de la plante des pieds jusqu'à mes cheveux que le lin de la coiffe avait quittés dans la lutte. On a entamé la gouren : je savais que je gagnerai. Ils me le devaient : j'avais tant sué. Ils m'ont recraché dessus, je devenais violette : le vent, tu le sais bien, n'est pas qu'empli de mer : il sent la haine qu'il prend pour retourner les bateaux. Le vent n'a pas pris le temps de te dire combien je t'aime. Il ne t'a rien dit. Il aurait dû passer des années pour te l'annoncer, pas nous les prendre. Oh combien le vent tout comme la mer doivent être fous pour à ce point tous nous nourrir comme tous nous mourrir. 

Tu m'as menti Mael, le vent ne m'apportait pas tes paroles mais tes cris. Il n'a jamais était un ami, et les dentelles d'écume des couteaux, si tu savais, des couteaux, des couteaux qui arrachaient des bouts de notre terre et nous mentaient en faisant un arc-en-ciel par dessus. Comment as-tu pu me mentir toi aussi à ce point à m'en faire des alliés...

DIWALL!!!! DIWALL!!!

J'étais trempée comme une soupe, peut-être que tu m'as vue à Aran dans ton sépulcre d'algues. La goellette que j'étais s'était transformée en harpie et alors le ciel s'est ouvert et une lumière est tombée vers le nord-ouest pendant un temps. Vers toi. Appelle-moi... Appelle... Je suis perdue... Je suis perdue...

J'ai couru bien encore pour voir l'Ankou du kalvar et il m'a dit. Il m'a dit pour le mensonge. Il m'a dit pour le mell benniget qu'il a déposé sur ton épaule. Tu aurais dû m'avertir. Tu as crié. Il t'a désigné, tu aurais dû savoir : ici plus qu'ailleurs, parce que nous sommes bretons, la mort nous prévient. Elle est amie. Plus que les éléments que tu défends. Tu aurais dû le savoir qu'elle aurait raison. Comment as-tu pu. Je suis si perdue. J'ai besoin de toi. Elle a voulu me consoler. Je l'ai arrachée ou plutôt j'ai arraché l'Ankou de rage et il s'est brisé sur la chaussée. Je lui ai donné des coups de pieds et le ciel s'est refermé, pliant son doigt pour Aran à jamais.

Comme je regrette ce geste...


(Cela fait des années que je pleure ton corps que l'on m'a volé. J'ai fait installé un cénotaphe dans le jardin. Lorsque le vent et la mer se déchaîne je m'y abrite en espérant que tu y trouves toi aussi refuge. Je te serre dans mes bras alors que la pluie ruisselle furieuse sur le toit. J'ai tant d'espoir que tu sois bien dans ces moments là avec moi. Que tu n'aies pas froid : cet endroit est chez toi.

J'ai tant d'espoir sur que ça.

Tout le reste tu sais, on parle de vieillesse et de noir. Mes jupons blancs ne sont plus. Sous le cénotaphe, j'ai fait enterré la jolie robe de joie blanche que tu aimais tant et que les éléments ont salie dans le crime. Mes rides, les larmes y vont parfois mais elles se sont faites sèches comme des ombres d'elles.

Le vent tente bien la nuit de gratter à la porte pour se faire pardonner et coupable, il attise les flammes de l'âtre pour me faire chaud mais je décide. La mer chante parfois aussi pour moi, mais je décide.

L'Ankou cette année est venu. Il a déposé sa lame sur mon épaule. J'ai souri. Il a souri : nous sommes amis, nous bougeons tous deux très lentement car c'est comme cela que nous nous comprenons.

Tu me manques. Appelle-moi. Dis mon nom. Je suis prête.

J'ai déjà si vieilli pour le trop plein d'années qui me resterait.

Toi si beau, dans ton beau tombeau d'eau.

Da garout a ran).

Soaz.