Lecture de rando. A propos de Stéphane Hessel et de son Indignez-vous ! Salut à Gaston Cherpillod. Visite à La Pensée sauvage, au Sentier.
À quoi peut bien tenir l’extraordinaire retentissement de la plaquette publiée à la fin de l'an dernier par Stéphane Hessel, intitulée Indignez-vous !, comptant à peine une trentaine de pages, vendue à plus d'un million d'exemplaires et disponible dans toute librairie pour la somme d’une thune ?
Pourquoi ce succès phénoménal, autant en Suisse romande qu’en France, et comment expliquer aussi la violence des réactions que ce manifeste du vieux résistant a suscitées à la fin de l’an dernier, notamment de la part de Sammy Ghozlan, directeur du Bureau national de vigilance contre l’antisémitisme, et de l’historien Pierre-André Taguieff, dont on a pu lire sur Facebook ces propos vifs : « Quand un serpent venimeux est doté de bonne conscience, comme le nommé Hessel, il est compréhensible qu’on ait envie de lui écraser la tête ».
Or je repensais à ce tumulte de mortels, l’autre jour, en remontant les pentes du Mollendruz d’où se découvre la couronne enneigée des Alpes suisses et savoyardes, je me rappelais la dernière belle et grande indignation des peuples asservis de Tunisie et d’Egypte, notre beau pays était comme sculpté par une lumière cristalline, et cependant j’avais encore mal de penser qu’un homme intelligent et cultivé de la trempe d’un Taguieff pût utiliser des termes aussi violents et orduriers, fleurant la vieille rhétorique de toutes les haines, brune ou rouge, contre un homme dont le seul tort est de s’en être pris, dans son bref libelle, à la politique menée par Israël contre les Palestiniens, et plus précisément contre l’opération Plomb durci de fin 2009 à Gaza. Est-il désormais interdit, sous peine de poursuites pénales, de dire ce qu’on pense d’Israël ?
Ce qui est sûr, c’est qu’il serait malhonnête de réduire le manifeste de Stéphane Hessel à ses critiques virulentes contre l’intransigeance d’Israël. « Les Israéliens n’ont pas d’intérêt réel pour la paix. Ils veulent garder les colonies, ils veulent garder l’occupation. C’est ça qui est contraire au droit international, aux Conventions de Genève. Je suis un défenseur acharné du droit international qui est bafoué par Israël », affirme certes Stéphane Hessel. Mais cela n’en fait pas pour autant un défenseur du terrorisme. L’indignation du vieil homme rejoint celle de Sartre, l’un de ses penseurs de référence avec Maurice Merleau-Ponty, qui prenait parti pour les damnés de la terre, et comment ne pas le suivre quand il relève l’hypocrisie de ces Israéliens purs et durs qui taxent de « terrorisme » les pacifistes eux-mêmes manifestant au pied du Mur ? « Pas mal », commente-t-il au passage…
Stéphane Hessel a-t-il raison de prôner le boycott des produits israéliens ? En ce qui me concerne, je ne crois guère à ce genre de gesticulations, mais est-ce cela qui lui vaut l’opprobre voire la censure ? Sûrement pas ! Ce qu’on ne tolère pas, c’est qu’il ose seulement dire ce qu’il pense, et de là à mettre en doute son passé de résistant et de déporté, il n’y aura qu’un pas.
Pensez-vous que plus d’un million de lecteurs se sont intéressés à Indignez-vous ! pour motif d’antisémitisme sournois ? Je n’en crois rien. Je vois bien plutôt, en ce vieil homme, la figure du grand-père quasi mythique, vieux lutteur probe aux yeux duquel les hypocrites de tous bords qui règnent sur le monde ne méritent qu’indignation. Sarkozy et Berlusconi, Poutine et consorts : dégagez !
Or suffit-il de s’indigner saintement pour la modique somme de cent sous ? Sûrement pas ! Mais comment ne pas saluer ce refus du consentement au pire qui nous menace de tous côtés ? Voilà ce que je me disais l’autre jour en regardant, de loin, les enfants de Joux qui évoluaient sur le lac gelé, gracieux et insouciants, en espérant secrètement qu’eux aussi résisteront plus tard à l’inacceptable…
Stéphane Hessel, Indignez-vous !