Suite à deux articles lus récemment sur les blogs d’écriture que je suis (Idmuse qui réécrit son premier roman à la troisième personne et Annie Perrault qui nous parle de l’émotion dans l’écriture ), et j’en suis venue à vouloir vous parler du JE.
L’écriture qui permet l’émotion le plus facilement semble être celle qui se décline à la première personne du singulier : J’écris un roman et je vous parle comme si j’étais le personne.
En dehors du fait que le lecteur (et l’auteur aussi) ne doit pas confondre l’auteur et le narrateur, c’est plus facile pour un auteur surtout débutant d’écrire à la première personne et de rendre son récit intéressant et lourd de sens. Et c’est plus facile pour le lecteur de s’identifier au héros.
La facilité du Je est telle que beaucoup d’auteurs la préfère à une narration à la troisième personne (il/elle). Mais le véritable enjeu est différent : oui dire JE est facile pour rendre l’émotion, mais il contient des contraintes plus complexes qui souvent ne sont pas consciente chez l’auteur ou le lecteur. Et le comprendre permet d’approfondir sa réflexion sur l’écriture.
La facilité d’écriture repose surtout sur le fait que l’auteur se contente d »incarner un seul de ses personnages : beaucoup moins de personnalités à gérer, beaucoup moins de situations et d’actions à anticiper.
Le principal piège de la narration à la première personne c’est de tomber dans ce que j’appellerai le JE absolu : le narrateur est focalisé sur lui-même, toutes les actions des autres tournent autour de lui et tout ce qu’il transcrit est sûr et certain.
Lorsque le narrateur s’exprime à la première personne, il donne son point de vue. Et uniquement le sien. Toute transcription des actions des autres ou de leurs attitudes ne sont que des suppositions à moins que le narrateur puisse lire dans les pensées des autres.
Le narrateur ne peut que supposer que la personne en face lui ment, est triste ou sincère… Elle lui semble sincère, elle lui paraît triste ou elle ment peut-être ! Parce que le narrateur n’est pas omniscient (mais il ne l’est pas non plus à la troisième personne – j’y reviendrai une autre fois). Et jouer sur cette incompréhension est un bon moyen d’étoffer son récit, de le rendre plus profond (le narrateur doit se rendre compte que les autres, ce n’est pas lui !)
Pour l’auteur le piège peut même se refermer et rendre son texte « insipide » par manque de points de vue différents : car il FAUT incarner les autres personnages pour les rendre crédibles. Se mettre dans leur tête, ne serait-ce que lors d’un dialogue, pour les faire sonner justes.
Les paroles des autres ne peuvent pas correspondre à la personnalité, à la manière de réagir du narrateur. C’est l’intérêt d’ailleurs : confronter le narrateur aux autres points de vue.
La narration à la première personne est très facile, mais il ne faut justement pas tomber dans le piège de cette évidence : une simple histoire en je n’a pas plus d’intérêt qu’en il, c’est une facilité pour rendre les émotions. L’utilisation de la première personne doit être un choix conscient. L’enjeu du je est d’acquérir du sens dans la relation aux autres personnages, pas juste un moyen facile d’évoquer l’émotion.