Magazine Journal intime
Juré D'Assises : Un Homme En Colère.
Publié le 25 janvier 2008 par Mélina Loupia
Ce matin d'automne naissant, lorsque je fouille dans la boite aux lettres, je trouve parmi les prospectus des meilleures promotions des vendanges un courrier
que je me suis empressée de cacher, tout en balayant le paysage à trois cent soixante degrés.
Personne ne devait avoir vu "Ministère de la Justice" estampillé sur l'enveloppe.
Pendant une seconde, j'ai vu les hommes en bleus arriver en trompe, au frein à main sur le gravier devant la maison, la paire de menottes rutilantes se décrocher des ceinturons de cuir noir ciré
de frais et passée autour de mes poignets, pendant que je subissais une fouille légale, le ventre plaqué contre Cariolette.
"Mais je vous jure Monsieur l'agent, j'ignorais ce que signifie téléchargement illégal, copie de sauvegarde ou encore que ma lampe de chevet fonctionnait au sodium.
-Ne jurez pas Marie-Thérèse, ne jurez pas!
-Mais vous faites erreur sur la personne, je m'appelle Mélina."
Juré.
Convocation.
Gendarmerie.
Ainsi, le coupable était Copilote.
Coupable d'avoir attiré le hasard du tirage au sort.
Lui qui gagne jamais.
L'invitation obligatoire portait sur le mois de novembre, délai durant lequel il devait remplir une ramette de paperasse et la renvoyer au Tribunal, faute de quoi il y serait escorté.
"Alors là ça me tarde trop, ça doit être génial.
-Tu parles Charles.
-Copilote, Charles, ça doit être celui du lundi.
-Certes, n'empêche que ça doit être frustrant, tu pourras pas tout me raconter ta journée de boulot comme d'habitude, et je serai obligée de te faire picoler pour te tirer les verdicts du
nez.
-T'as vu, c'est super bien payé en plus, elle est belle la Justice."
En effet, entre les frais de bouche, de trajet et de travail effectif, sans compter la perte de salaire, les douze jours escomptés nous feraient passer un Noël plus doré.
C'est ainsi qu'au jour dit, un beau matin, je retourne par la Poste la paperasse noircie, datée et signée.
Et c'est ainsi que le surlendemain, j'ouvre la porte à un binôme de la Gendarmerie dont le véhicule de service resté allumé empiétait sur mon gazon en espoir de pousse.
"Monsieur LOUPIA?
-Non, Madame, mais c'est pareil visiblement.
-Il est là votre époux?
-Ah non, on est samedi Monsieur.
-Mais il travaille le samedi?
-Oui, ça arrive, dans le privé.
-Mais on peut pas le joindre pour qu'il vienne?
-Si vous avez une journée à perdre, je l'appelle, il termine à dix-huit heures trente, rentre à dix-neuf, il n'est que midi messieurs.
-Non, mais vous comprenez, je dois lui remettre une convocation en mains propres.
-Mais attendez, on a renvoyé la convocation signée dans les temps.
-Oh mais vous savez, la Justice, c'est une vieille mamie, elle a dû oublier de relever le courrier.
-Je vois. alors comment fait-on?
-Vous lui dites de passer demain, entre sept et huit.
-Du soir?
-Ah non, du matin.
-Et bien, il sera en retard pour l'Office, mais nous expliquerons à l'Eglise que l'Etat est prioritaire.
-Ah.
-Je plaisante, juste il oubliera la grasse matinée.
-Ah, il y a parfois des sacrifices à faire.
-Je ne vous le fais pas dire.
-Bon week-end Madame.
-Au revoir Messieurs."
Le lendemain matin, dans la brume et la nuit, gelé comme la départementale défoncée, voilà mon vaillant dormeur qui se lance à la recherche des mains propres.
Conquérant, il rentre se recoucher sans que personne ou presque ne se soit inquiété de son absence, surtout les mauvaises gens du village.
" Et tu te rends compte un peu, les gendarmes sont venus le chercher, je te l'avais bien dit que là-haut, la drogue circule, c'est bien fait pour eux, et si c'est pas malheureux, avec les
enfants, tu sais, si j'avais le temps, je les plaindrai."
Enfin, le lundi tant attendu est arrivé, et c'est en tenue de salarié du privé que Copilote m'embrasse, me laissant un peu de dentifrice sur les lèvres.
"Mais tu vas pas au Tribunal?
-Et si, mais si je suis récusé, je vais au taf.
-Ptain, c'est compliqué la Justice.
-A ce soir."
Le manège et la navette entre le monde public et privé a duré les douze jours prévus, il n'a pas été récusé, mais a dû aller vendre quelques babioles pour cause d'une affaire classée.
L'expérience a été très enrichissante;
"Je me suis cru dans une émission de téléréalité, au final, quelle belle aventure humaine, ils vont tous me manquer.
-Bon, faudrait voir à remplir les papiers pour les indemnités.
-T'inquiète, c'est tout prêt, plus qu'à poster.
-Tu veux pas plutôt aller le porter au Tribunal?
-Meuh nan, enfin, la Poste, c'est plus pratique, puis y a des travaux en ville, c'est le bordel pour se garer, pas envie, flemme, on est pétés de thunes, je peux bien dépenser un timbre."
C'était il y a deux mois.
La semaine dernière, ne voyant pas mon escarcelle se remplir des indemnités journalières provenant du Tribunal, je saisis mon téléphone en tremblant et compose le numéro affecté.
"Bonjour, c'est la régie?
-Oui, mais pas vraiment, que puis-je faire pour vous?
-Je suis Madame LOUPIA, mon mari a été juré au mois de novembre dernier, et les trois semaines de délai du paiement des indemnités sont dépassées sans que nous l'ayons reçu.
-Ah, c'est normal.
-Ah.
-Oui, tout ce qui passe en fin d'année met plus de temps à être réglé et la régisseuse est en congé de maladie, elle rentre la semaine prochaine, ne vous inquiétez pas, si vous avez tout bien
rempli, vous recevrez le chèque à la fin de la semaine dernière.
-Donc, je ne m'inquièterai qu'à partir du début de l'autre?
-Vous aurez tout reçu d'ici là.
-Bonne journée Madame.
-Bonne journée Madame."
C'était il y a un mois.
Prenant sur son temps de repos, Copilote décide d'en finir et qu'il était temps que la Justice lui rende juste compte.
"Bonjour, c'est la régie?
-Oui, mais pas vraiment, que puis-je faire pour vous?
-Je suis Copilote, j'ai été juré au mois de novembre dernier, et les trois semaines plus la fin de la semaine prochaine de délai du paiement des indemnités sont dépassées sans que je l'aie
reçu.
-Ah, c'est normal, mais pas vraiment. Il se trouve que la régisseuse est à l'hôpital, mais qu'au vues de votre dossier, il nous manque l'attestation de perte de salaire de votre employeur.
-Que je vous ai envoyée en même temps que le reste.
-Oh, vous savez, la Poste est une vieille dame qui ne donne pas souvent tout le courrier. Mais je vais lancer des recherches.
-Oui, vous comprenez, il me manque tout de même douze jours de salaire et j'ai des factures à payer Madame.
-Je comprends, je m'en occupe et vous recevrez votre chèque sans tarder.
-Merci Madame.
-Bonne journée Monsieur.
-Bonne journée Madame."
Et il avale son café presque froid.
"Tain, tu te rends compte, ils t'obligent à venir faire le juré, sinon, c'est les gendarmes qui viennent te chercher et en plus, ils te payent en retard.
-T'as qu'à leur envoyer les gendarmes pour défaut de paiement, puis tant que tu seras sur place, tu chopes un avocat et tu fous la Justice au Tribunal.
-Manquerait plus que je sois juré.
-Mais non, je serais récusé.
-Tain, du coup, tu serais pas payé."