Je le mentionnais la semaine dernière, cuisiner avec bébé s'avère être une aventure périlleuse. La plupart des parents n'en sortent pas indemnes, malheureusement. Les cicatrices sur nos mains, avant-bras et parfois même les pieds, peuvent en témoigner. Par contre, il ne faudrait surtout pas négliger les séquelles psychologiques souvent irréversibles qu'entraîne la préparation de nourriture avec bébé. Ces séquelles sont variées et peuvent être: une simple phobie des recettes demandant plus de 20 minutes de préparation, une obsession pour l'achat compulsif de plats déjà tout préparés ou le syndrome de la Tourette dont le pauvre parent atteint ne cesse de répéter vache et tracteur des suites de l'écoute intensive des DVD Bébé Einstein à la ferme pour préparer le souper dans le calme.
C'est le lot de la plupart des parents. Repeupler la terre signifie aussi mettre sa vie en danger quand vient le temps de popoter, tenez-vous le pour dit. Cuisiner avec bébé ne met pas seulement votre vie en danger, ça détruit également votre crédibilité comme le prouve l'histoire suivante.
C'est l'anniversaire de votre belle-mère. Votre amoureux a décidé d'inviter toute la belle-famille au complet pour souligner l'événement. Comme vos deux mains cherchent désespérément à étripper l'homme de votre vie, vous décidez plutôt de les occuper, question de ne pas rendre bébé orphelin de son père. Les voilà donc, vos deux blanches mains, à fouiller dans le frigo pour préparer le repas pour tout ce beau monde. Qui ne voyez-vous pas arriver gaiement par le coin droit? Bébé, évidemment, le sourire aux lèvres, prêt à aider sa pauvre mère qui a les bras chargés de victuailles. Plutôt que de fermer la porte du frigo gentiment comme vous le lui demandez, bébé décide d'y faire le ménage. Entre temps, vous avez libéré vos mains et vous dirigez maintenant vers le frigo pour en extirper bébé, juste comme il s'apprêtait à vider la bouteille de ketchup sur le plancher.
Vous pestez contre le papa qui vous a laissée seule avec bébé pour préparer le repas. Qu'il soit retenu au travail, temps supplémentaire de surcroît, ne change rien au fait que vous rêvez secrètement de lui arracher la tête à son retour. Vous passez plutôt à la décapitation des pommes de terre pour rester zen, pendant que bébé tente de soulever votre chandail, espérant voir votre nombril et y enfouir son petit doigt. Vous préparez ensuite la marinade pour la viande alors que bébé ramasse les miettes sur le plancher avant d'aller les jeter une à une dans la poubelle. Entre deux feuilles de basilic à hâcher, vous levez les yeux vers le fruit de vos entrailles, au cas où l'envie lui prendrait de saisir à nouveau les miettes jetées à la poubelle et les manger. Vous passez maintenant en mode salade et, comme bébé se fait insistant pour vous seconder, vous installez une chaise à votre gauche sur laquelle bébé grimpe. Vous lui donnez des craies (il est plus facile de nettoyer les traces de craies que celles de crayons feutre) et un petit tableau sur lequel il pourra développer sa créativité (et vous laissez trancher les légumes en paix). Après un laps de temps qui vous parait très court, bébé tend le bras vers les légumes que vous tranchez, s'empare d'un morceau de concombre, pousse un cri suraiguë à la manière d'un concombre qui va se faire dévorer (faire crier les légumes avant de les manger, un excellent truc pour faire avaler n'importe quoi à bébé, même de la viande) et engloutit le morceau de concombre. Vous riez de bon coeur et bébé recommence son manège avec chaque légume. Pendant que vous coupez soigneusement les poivrons en cube exactement symétriques (rien de trop beau pour la belle-famille), bébé apporte quelques nuances à son jeu: il prend un morceau de légume et le dépose dans le bol de salade, en prend un autre et le mange, dans le bol, dans la bouche, dans le bol, dans la bouche, dans le bol, dans la bouche, ressort de la bouche, met dans le bol. Oups. Trop tard. Vous ne retrouvez pas le morceau. Bof, bébé n'est pas malade, disons que ce sera notre petit secret. Tout est prêt, vous n'êtes pas blessée et ni vous, ni bébé n'a perdu sa bonne humeur. Un miracle.
Le soir venu, la visite arrive. Parle, parle, jase, jase, tout ce beau monde s'assoit à la table. Service des plats. Dégustation des plats. Compliments qui fusent de toute part sur la qualité des plats. Vous rougissez. On vous demande votre secret. Vous répondez que bébé vous a aidé et que ces plats sont plein d'amour.
Et là, le drame surgit. Une tante de votre amoureux, la tante par excellence qui trouve toujours quelque chose à redire sur tout, devient cramoisie et grimace. Vous pensez secrètement qu'elle a hérité du morceau de concombre prémâché par bébé. Elle porte la main à sa bouche et en extirpe un petit bout bien dur et rose.
Une craie.