S’il est vrai que le dicton « Sois belle et tais-toi » est formula non grata et peut faire l’objet d’un dépôt de plainte pour discrimination, il n’empêche que la première moitié n’en reste pas moins une préoccupation fondamentale pour nous, les femmes.
Certaines auront beau lever les yeux au ciel en pensant que ces propos relèvent du plus vil machisme féminin, je maintiens que toute femme a eu, à un moment donné de sa vie, un profond désir de cesser de ressembler à un sac pour se transformer en un coup de shopping compulsif en une créature glamourissime tout droit sortie du plus papier glacé des magazines.
En ce qui me concerne, cela m’arrive en moyenne deux fois par an et, si je suis chanceuse, cela coïncide pile poil avec les soldes !
La métamorphose passe par de nombreuses étapes et, afin d’éviter la monotonie, ce n’est pas toujours la même qui s’impose à moi. Aussi, par le passé, ai-je bravement traversé les phases coiffure, esthéticienne, maquillage, relooking vestimentaire mais jamais, au grand jamais, la fièvre de femme fatale ne s’était manifestée par le biais de mes pieds.
Ceci est d’autant plus étonnant que je reconnais volontiers ne pas leur accorder autant de bienveillante attention qu’au reste de mon anatomie ayant même poussé le vice jusqu’à leur porter publiquement offense. Bref, autant l’avouer, je n’aime pas les pieds, quels qu’ils soient et quels que soient leurs propriétaires, ce qui ne m’empêche pas toutefois de les prendre, à tour de rôle mais jamais ensemble selon la formule consacrée.*
Pour en revenir à mes orteils, c’est en refusant de se glisser dans mes vieilles converses délavées que j’ai capté leur message plantaire : Des ta-lons !!
Mes petons ne rêvaient que de talons qui déformeraient leurs voûtes, tortureraient leurs orteils, martyriseraient leurs talons et me forceraient à marcher à tout petits pas sur une route plate et sans obstacle, le regard rivé sur la pointe de mes escarpins au risque de me prendre un réverbère en pleine face mais en ayant évité une honteuse foulure de cheville !
Je comprenais fort bien leur désir de lever un peu le pied, de cesser de courir sans répit pour flâner en toute inquiétude du haut de leur nouveau piédestal. Et puis, qu’existe-t-il de plus sensuel que la démarche langoureuse et chaloupée d’une paire de hanches nonchalantes se mouvant au rythme aguicheur d’un talon caressant le bitume ?
C’est donc avec complaisance que je pénétrai chez un chausseur avec la ferme attention de trouver chaussures à mes pieds.
Je m’élevai alors de quelques centimètres, déambulai négligemment dans le magasin sous l’œil approbateur quoiqu’impatient du commerçant, hésitant, soupesant, réessayant encore les quelques dizaines de paires qui s’offraient à mes attributs de Cendrillon, à ceci près que je doute que Melle la Princesse n’ait jamais eu à débourser un centime pour sa pantoufle de verre !
Je repartis munie de plusieurs spécimens, délestée d’un surpoids bancaire, contemplant avec délice ma nouvelle allure ultra-féminine dans toutes les vitrines de la ville. Quel formidable pied de nez à la Peau d’Ane que j’étais encore le matin même !
Un bonheur arrivant rarement seul, je fus ravie de constater le double effet « talon-cool » : La musculation avérée des fessiers. C’est donc d’un pas doublement léger que je regagnai mon domicile avec la ferme intention de résilier mon abonnement à la salle de sport.
Parvenue à destination, mes intentions avaient légèrement évolué.
Oh, je vous vois venir, sourire à peine en coin, la remarque acerbe au bout de votre langue de vipère et le regard déviant sur mes semelles « œufs au plat »… Sachez, viles créatures, que si j’ai momentanément délaissé mes talons au bout de quelques heures seulement, ce n’est guère en raison des multiples ampoules ou de l’insupportable douleur de mes orteils comprimés, mais uniquement par ce que je n’ai pas encore trouvé la jupe qui va avec !
Parfaitement !
* « Prendre son pied », à ne pas confondre avec l’occupation de prendre ses pieds, activité prisée des bébés âgés de quelques mois.