Magazine Journal intime

Il était une fois une alouette appelée Nora...

Publié le 21 février 2011 par Elsia

Arte+7 permet en ce moment pour encore 6 jours de voir gratuitement la Maison de poupée d'Ibsen dans la mise en scène mélo-dramatiquement flamboyante et très forte de la compagnie Mabou Mines.

mabouminesdollhouse
Mabou Mines est une compagnie new-yorkaise de théâtre d'avant-garde, ce qui est évident dès les premières secondes. Autant dire que l'épure et le dénuement fréquemment associés aux mise-en-scènes européennes d'Ibsen ne sont ici pas de mise, le fameux préjugé européen sur l'ascétisme de décor allant avec le théâtre scandinave est ravalé à son statut de préjugé culturel pour laisser place à la démesure et aux effets spéciaux.
Leur travail m'a un peu rappelé le travail du Redmoon Theater découvert à Charleville-Mézières, pour le côté jamais-gratuit des effets justement, mais le Redmoon ne s'attaque pas au théâtre classique, contrairement à Mabou Mines qui y excelle.

Déjà, tous les acteurs masculins sont des acteurs nains, ça fait un peu étrange au début, un peu "gimmick" mais rapidement ça n'a plus d'importance parce que les acteurs en question sont remarquablement bons, et que la pièce tout entière baigne dans un climat sur-réel où cette question de taille n'a mais alors plus la moindre importance au bout de 5 minutes à peine.
Malgré (grâce à ?) toutes les outrances (marionnettes, lumières, fumée, machinistes apparents, numéros de chants et de danse, et j'en passe), le climat de la pièce est tout-à-fait rendu : la bonbonnière devenue théâtre en ruine laisse à l'aube les personnages nus et seuls, une fois le champagne tiède et les falbalas dépouillés ; l'intrigue se révèle un prétexte et les secrets ne cachent pas ce qu'on croit...
Le final est extrême dans sa forme, mais on se tromperait à n'y voir qu'un accessoire jusqu'au-boutiste, ce serait de la condescendance mal placée car le final écrit par Ibsen n'est pas plus un accessoire jusqu'au-boutiste que la mise en scène de Mabou Mines, au contraire. Tout est nécessaire et l'extrémisme de la forme ne fait que souligner encore plus l'extrémisme du texte. Tout comme les acteurs s'arrêtent un moment (la mise en abîme de la pièce est constante, face à un public de marionnettes à fils, dans ses atours de bourgeoisie parées pour son soir au théâtre) pour dire "c'est dans le texte !" à leur pianiste vexée du commentaire raciste associant l'obéissance ennuyeuse du tricot à la pensée chinoise, l'extrémisme est dans le texte, le sexe est dans le texte, la révolte est dans le texte.

Je recommande vivement de jeter un œil, voire deux, tant que faire se peut, à cette mise en scène déroutante, percutante, chahutant avec un respect inébranlable la pièce originale, pour forcer le spectateur à y poser un regard neuf, bouleversé, comme si tout prenait sens à nouveau, comme si jamais on avait vu cette pièce avant.
Ce qui me semble être la raison même de chaque nouvelle mise-en-scène, non ?
Et je pense que le fait que la pièce soit classée au patrimoine mondial n'est qu'une raison supplémentaire de la bouleverser, de l'embrasser avec passion et démesure, à l'image du monde intérieur tourmenté de cette cage à oiseau faussement chantante.

Bref : à voir !


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