Je l'ai pas lu, je l'ai pas vu

Publié le 22 février 2011 par Addiction2010

  

Sauf que c'est pas tout à fait vrai... Je l'ai lu, dans Charlie d'abord et dans ses livres ensuite. Je l'ai vu mais c'est un souvenir furtif: un soir rue de l'Université, au début des années 80, je croise un type sur le trottoir, je me dis que je le connais mais impossible de mettre un nom sur ce visage connu. Le temps que je réalise que c'était François Cavanna, il était trop tard pour lui dire mon admiration. De toute façon, il n'aurait pas aimé.

Je m'étais promis d'écrire quelques mots le 22 février, jour de son anniversaire, sur Cavanna. Et rien sur sa fiancée, miss Parkinson. Je ne suis pas jaloux, j’aurais pu plagier Desproges et affirmer que seule une hétérosexualité violente m’empêche de le demander en mariage, mais le temps n’est plus à ces élans. C’est pourtant miss Parkinson qui a remis dans la lumière, dans la mienne au moins, le rital magnifique. Mais peu importe la raison, je ne vais pas manquer l’occasion de lui rendre un hommage qui ne lui parviendra pas. Ce n’est pas grave. Et puis, qui sait, peut-être éveilleront-il la curiosité d’un passant qui cherchera à savoir qui est ce Cavanna.

Pour moi, l’histoire commence pendant un cours. Oui, le lycée n’est pas que du temps perdu. Nous avions quelques professeurs qui prenaient leur mission à cœur. Celui-là ne négligeait pas l’instruction civique et nous avait proposé une revue de presse à l’occasion d’élections. C’est comme çà que j’ai eu Charlie Hebdo entre mes mains pour la première fois, ce devait être en 1973. Je ne me souviens pas de ce numéro en particulier, bien sûr. Ce fut le début d’une période où la lecture, des journaux comme des livres, pris une place importante. Pour moi, mais aussi pour une bonne partie de ma génération. Les jeunes d’aujourd’hui se gavent d’internet et picorent tout ce qu’ils trouvent. Etions nous différents quand nous allions acheter les journaux. A vrai dire, nous en lisions aussi pas mal directement au dépôt de presse, nous n’avions pas les moyens de tout acheter.

J’étais lycéen, puis étudiant, et parfois, s’il fallait choisir entre le ticket de resto U et Charlie, l’hésitation n’était pas bien longue. Il faut dire que de toute manière, vu ce qu’on trouvait dans nos assiettes, nous n’avions pas de regret… Charlie, les Nouvelles Littéraires ou encore Le Matin de Paris. Et Libé, évidemment, quand la claviste en était la reine. Je pourrais ajouter ces écrivains que nous écoutions à la télé, le vendredi soir, avant le ciné-club. Nous n’achetions pas les livres qu’ils venaient présenter, nous attendions les éditions de poche, ou alors nous les empruntions dans les bibliothèques.

Et donc, François Cavanna. On le connaissait sans prénom, à l’époque. Ce n’est que plus tard, quand il fallut mettre un nom sur une couverture qu’on a appris qu’il en avait un aussi. On ne connaissait pas son histoire, sa vie de rital, ou sa guerre. Mais on était pris par ses mots. Il n’avait pas besoin d’aller chercher des mots savants, ceux pour lesquels on ouvre le dictionnaire, pour nous toucher. Il n’avait pas non plus besoin d’ajouter quelque vulgarité ou quelque grossièreté pour nous captiver. Non, il nous a séduit par une langue à la fois simple et précise, jouant de la grammaire et de ses règles subtiles que nous ont apprises nos maîtres.

C’est pourquoi, Monsieur Cavanna, j’espère que vous pardonnerez le « Monsieur » en le comprenant, je vous ai fait une place dans mon panthéon personnel. La plupart de ceux que vous y avez rejoint sont des inconnus. Ce sont mes instituteurs et quelques professeurs pour qui je garderais, jusqu’au dernier jour, une gratitude que je n’ai pas toujours su leur faire connaître à temps. Vous êtes en bonne compagnie.

Et bon anniversaire.