Comme promis donc à ce moment-là, j’aborde aujourd’hui la narration à la troisième personne. La narration à la troisième personne paraît plus difficile au premier abord parce que l’émotion est beaucoup plus dure à rendre. Elle peut paraître également rébarbative quand elle n’est pas porteuse de sens, mais juste un moyen d’éviter d’approfondir les sentiments et les réactions des protagonistes.
En disant « Je commençais me sentir bien, la chaleur me pénétrait et je me laissais bercer par le mouvement » le lecteur s’implique beaucoup plus émotionnellement que pour « Il commençait à se sentir bien, la chaleur le pénétrait et il se laissait bercer par le mouvement« .
Ce que j’ai fait là, c’est de la pure transcription d’un texte de la première à la troisième personne. Ça n’a aucun intérêt. L’intérêt de la narration à la troisième personne n’est pas de faire du mono-point de vue (comme pour la première personne). C’est bien de jouer sur les différents points de vue à l’intérieur d’un même chapitre, d’un même paragraphe. Ce que ne permet pas la narration à la première personne sans devoir changer de narrateur.
Pour l’auteur, ça exige une gym mentale assez intense. Choisir en permanence QUEL point de vue aborder : extérieur/intérieur et neutre/impliqué.
Narration Extérieure ou Intérieure
Je m’explique : à la troisième personne, on peut choisir d’avoir un point de vue extérieur à l’action et aux personnes ou un avis intérieur.
De l’extérieur ça donnerait : « Pierre se tenait silencieux dans un coin de la pièce quand, soudain, alors que Julien continuait de parler, il se précipita sur ce dernier pour lui coller un poing en plein visage. » C’est extérieur parce qu’on ne sait rien de ce qui se passe dans sa tête, ou même dans la pièce.
De l’intérieur, on aurait soit : « Les pensées de Pierre le préoccupaient, tandis qu’il se tenait silencieux dans un coin de la pièce. Julien devenait exaspérant à ressasser toujours les mêmes paroles. Puis il prononça un mot de trop et Pierre perdit son sang-froid. Il se précipita sur lui pour lui en coller une en pleine poire. »
Mais on peut aussi avoir l’autre point de vue, celui de Julien : « Pierre était exaspérant à se tenir là debout, avec ce regard sombre. Tout en continuant de raconter encore une fois la même histoire, Julien tentait de deviner ce qu’il pouvait bien penser. Mais brusquement, en un éclair, Pierre se jeta sur lui. La douleur lui enflamma le visage, et plus particulièrement le nez qui devint horriblement douloureux et humide. » (remarquez, il l’a sans doute bien cherché
Voilà donc le premier choix : avoir accès ou non aux pensées des protagonistes et surtout lesquelles et à quel moment. On pourrait envisager un mixage des trois d’ailleurs : 1) Pierre se tient dans un coin, 2) Les paroles de Julien énerve Pierre, 3) Julien ressent la douleur du coup.
Le plus dur est de passer d’un point de vue à l’autre sans en faire ni un systématisme, ni perdre le lecteur (une fois ou deux ok, mais tout le temps ça devient trop lourd). Ca aide beaucoup à nuancer le récit et à apporter de la nouveauté dans votre histoire.
Passons maintenant au deuxième choix à effectuer pour une narration à la troisième personne :
Narration Neutre ou Impliquée
Il faut savoir qu’une histoire possède toujours un narrateur. Même s’il n’est pas présent dans l’histoire, il l’est dans le récit qu’il en fait. Une narration purement neutre n’existe donc pas. Par les choix que l’auteur fait d’être extérieur aux personnages ou non et des différents points de vue qu’il aborde. Il fait toujours passer ces idées, ce qu’il veut faire ressentir au narrateur. Mais il peut le faire de manière plus ou moins impliquée.
Ainsi on pourra considérer que la narration suivante est « neutre » :
Le sang coulait du nez de Julien qui semblait avoir des difficultés à reprendre son souffle. « Mais pourquoi t’as fait ça ? » Pierre qui se frottait vigoureusement le poing, ne répondit pas.
Passons à une narration un poil plus impliquée :
Le sang coulait abondamment du nez de Julien qui peinait à respirer correctement. « Mais pourquoi t’as fait ça ? » lança-t-il entre deux inspirations. Pierre se frottait vivement le poing pour apaiser la douleur causée par l’impact. Il gardait obstinément le silence.
Enfin, passons à une narration très (trop ?) impliquée :
Le sang giclait du nez de Julien par hoquets à chaque expiration comme si celui-ci se battait pour chaque bouffée d’air et éclaboussait, à chacune de ses victoires, le beau tapis persan à ses pieds. « Mais pourquoi t’as fait ça ? » bégaya-t-il avec une grimace de souffrance. Le poing encore serré dans une crispation que le frottement de son autre main tentait d’apaiser, en même temps que la douleur du coup qu’il venait de porter et qui lui avait certainement cassé la main, Pierre serra les dents. Pas un souffle d’air ne sortit de ses lèvres pincées.
Voilà ! à vous de choisir quand vous écrivez (et d’apprécier aussi quand vous lisez) le choix du narrateur et de son implication dans le récit ! Une seule question reste néanmoins : Qu’est-ce qu’a bien pu dire Julien pour se prendre un coup dans le pif ?