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Laurianne

Publié le 22 février 2011 par Banalalban

           Laurianne pose la tête contre la vitre du bus. Elle observe longuement le reflet que lui renvoie le verre sécurit d’elle-même, une image déformée : on l'appelle l'Image Vraie A. Elle observe longuement les contours de ce visage qu’elle a appris à oublier, la texture de sa peau qui est la sienne, le violet de ses lèvres, les tremblements de ses sourcils, le vert de ses yeux et le trouble qu’on peut y lire. Elle ne le reconnait pas et pourtant... Lentement, presque avec amour, elle pose sa main sur le contour du reflet, caresse cette joue qui est la sienne sans vraiment l’être parce qu’elle est froide _ quoique. Le soleil lui donne des couleurs qu’elle n’a pas, l’obligeant parfois à fermer ses paupières. La lumière qui y filtre alors est celle de la mort ou tout du moins la lumière de ce qu’elle croit être la mort : ni tout à fait noir, ni tout à fait blanche. Il en va ainsi des rayons qui percent les paupières et atteignent l'âme comme des lames. Et puis elle rouvre les yeux et son image continue de la toiser, indubitablement, inaltérable. Alors Laurianne se met à murmurer et elle suit la course des mots à demi prononcés au travers de cette bouche qui n’est pas la sienne. Elle observe le bruit qu’ils font lorsqu’ils ricochent en buée dure sur la vitre, éclaboussant les rues au derrière d’une brume délébile.

   Lentement, elle détourne son regard pour observer les gens tout autour, les quelques passagers qui, tout comme elle, ont oublié de s’observer dans les reflets narcisses et pire que tout, se sont perdus de vue. Elle les regarde sans vraiment les voir. Puis elle retourne à son image. À peine capte-t-elle le regard intéressé d'un jeune homme très laid : on l'appelle l'Image Fausse B.

   Elle descend du bus une demi-heure après y être montée, se retrouvant ainsi à l’extérieur de la ville, dans ce qu’il conviendrait d’appeler une zone industrielle. Tout le monde sait pourtant que les zones industrielles sont bien plus que des zones industrielles.

   Elle longe un moment un mur que le soleil fait paraître aveuglant. Une fois de plus, Laurianne plisse les paupières et retrouve les couleurs de la petite mort de tout à l'heure. Elle a des guerres avec le soleil de cette façon tous les jours. Elle caresse le mur tout en continuant à avancer les yeux fermés. La pierre lui égratigne l'extérieur de la paume et les fosses sur lesquelles, enfant, on compte les mois.

         L'espace d'un instant elle croise son reflet dans la vitrine d'un vendeur de kebabs : on l'appelle l'Image Grasse C.

   Elle rouvre les yeux et cligne des paupières, aveuglée par le soleil qui ricoche sur le mur comme sur un miroir. Le soleil joue tout le temp avec Laurianne comme un chat joue avec la souris qui elle-même joue avec le fromage avant de le manger.

     Laurianne tourne dans une ruelle microscopique et s’arrête devant la porte du « Féria ». Elle reste ainsi quelques minutes immobile devant la lourde porte massive. Elle se décide enfin à appuyer sur le bouton noir et menaçant de l’interphone. 

    Elle recompte les images A, B et C, la Vraie, la Fausse, la Grasse.

    La porte s'ouvre : Laurianne sait qu'elle a bien raison et sait ce qu'elle est venue chercher : l'Image D que l'on nomme la Laide.


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