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L'incroyable destin de Clarisse (14)

Publié le 22 février 2011 par Mazet

Episode 14 : Où Gilbert ne refuse rien à Clarisse

Le reste de la journée s’écoula lentement. La librairie ne désemplit pas, je pus passer ma journée à parcourir les rayonnages. Moi, qui étais bien ignorant de l’histoire ruthénoise, je pus combler quelques lacunes grâce aux excellents conseils de mon ami Blaise. Les jours s’allongeaient et la nuit commençait à se faire attendre. Les rues se vidaient plus tard et les conversations pouvaient se poursuivre jusqu’à plus soif. Le crépuscule arrivait, quelques lecteurs s’attardaient encore dans les rayons. Monsieur Carrère était dans la réserve, à la recherche d’une édition particulière d’une œuvre de Restif de la Bretonne, lorsque Clarisse fit son apparition. A mon grand étonnement, elle portait une sorte de voile noire, un peu semblable à celui que portent les femmes espagnoles et qu’on nomme Mantille. Elle s’approcha rapidement de moi. Soucieuse, semble-t-il, de ne pas trop se montrer publiquement, elle m’entraina dans la cuisine.

   - Monsieur Alvergnat, j’ai senti dès la première seconde que je pouvais vous faire confiance.

Un peu embarrassé, je bafouillais ce qui vous voulait être une réponse de gentleman.

   - Je ferais en sorte de ne pas vous décevoir, madame.

   - Demain soir, un chanoine de mes amis m’a promis de laisser ouverte une porte latérale de la Cathédrale, celle qui donne sur le boulevard de L’Estourmel. Vers vingt heures, vous l’emprunterez et vous vous dirigerez vers le confessionnal situé à gauche en regardant la nef. La porte, qui abrite habituellement le confesseur sera ouverte. Vous y pénétrerez. Attendez quelques minutes, une personne digne de foi, vous apportera un témoignage capital dans cette affaire.

Mille questions me venaient à l’esprit. Mais la belle ne m’en laissa pas le temps.

   - Je ne peux m’attarder Monsieur Alvergnat, je compte sur votre discrétion. Personne ne doit être au courant de cette entrevue, pas même Monsieur Carrère, malgré toute l’estime que je lui porte.
 La belle disparut aussitôt, laissant derrière elle de délicats effluves de violette et de jasmin mêlés. J’étais encore sous le charme de l’apparition lorsque Monsieur Carrère vint me tirer de ma torpeur. Les derniers clients étaient partis et le  libraire requérait mon aide pour ranger les derniers ouvrages consultés.

   - Voilà encore une curieuse journée !

   - Oui, Gilbert, j’ai l’impression que nous n’allons jamais sortir de ce cauchemar.

Cette fois, je décidais de partager le repas de mon hôte et de ne pas aller errer dans les rues Rodez, la journée de demain s’annonçait riche en émotion.

Même si Clarisse peupla mes rêves, je dormis du sommeil du juste. La journée commença en fanfare. Alors que nous attendions, comme à l’accoutumé, la visite du docteur Albuy, c’est Monsieur le Baron de Vautré qui pénétra dans le magasin. Il venait nous annoncer son départ imminent et tenait à saluer Monsieur Carrère qui avait toujours été de bon conseil. Avant de nous quitter, il se tourne vers moi.

   - Ainsi Monsieur, vous rapportez les péripéties de l’affaire dans les journaux parisiens.

   - Je n’ai pas cette prétention, mon Général, mes articles ne sont publiés que dans une feuille à faible tirage.

   - Il faut un début à tout. J’ai toujours été fasciné par le fait que la populace soit aussi friande du récit de ses méfaits.

   - La populace, puisque vous l’appelez ainsi est aussi avide de savoir les méfaits et les crimes commis par les notables et ce que nous appelons la « bonne société ».

   - Certes, mais je me demande bien d’où vient cette fascination.

   - Le crime est parfois un miroir qu’on tend à la société.

   - Enfin, je dois appartenir à un autre monde. Mais, avant, je vous voulais vous faire part des derniers bruits concernant cette sinistre affaire. Le parquet n’a pas trainé pour demander l’autopsie de Bancal. Elle a mobilisé par moins de six experts.

   - Ils ont abouti à des conclusions ?

Il me tendit un papier.

   - Tenez jeune homme, vous êtes mieux à même que moi de décrypter ce charabia.

D’après ces messieurs, Bancal présentaient des signes « qui peuvent se rencontrer dans le cas d’empoisonnement par des substances végétales ou minérales » Malgré tout ils en concluaient que le décès était dû «  à une fièvre oeudématique très grave, aux vices de la constitution physique d’Antoine Bancal, à une diathèse humorale, à l’infiltration générale consécutive de son état maladif, et à son inertie vitale ».

En bref, Bancal pouvait fort bien avoir été empoisonné, sans qu’on puisse exclure toutes les autres causes. Autant dire que l’autopsie n’avait servi à rien !


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