
C’est un roman de rêverie et de circulations alternées, qu’on peut commencer de lire dans une brasserie aux bois lustrés et au silence nacré, comme au Violon l’après-midi, et poursuivre ensuite dans ce tram vert portant le numéro 6 et conduisant à la frontière française de Riehen où se trouve la Fondation d’art Beyeler et où se (re)découvre ces jours l’œuvre à la fois connue et méconnue de Giovanni Segantini mêlée de poésie cosmique et de lyrisme alpin, de symbolisme d’époque succédant à un réalisme de province, dans un climat d’intense vibration métaphysique. Mais j’y reviendrai une autre fois, car cet univers ne touche à celui d’Hélène Sturm que par la bande, et notamment par la muette présence de ce jeune berger dormant au-milieu de ses moutons qui m’a rappelé le touchant Walter Pergamine au « petites mains maigres » qu’on voit chercher sa voie dans le dédale de Pfff…
À Riehen, dans les espaces lumineux de la Fondation Beyeler, l’on peut se reposer dans la salle des Rothko où presque personne ne s’attarde de la considérable troupe de retraités en train de « faire Segantini », propice alors à la songerie en compagnie de Walter le turfiste et d’Odile la liseuse à culottes plus ou moins apparentes, de l’homo Chapoutet ressentant l’absence de son ami Jaboulier comme Bouvet souffrirait de celle de son Pécuchard, de l’équivoque Beaufils écoutant un CD de Gesualdo qu’il a gagné en achetant un livre sur Internet, de Yolande qu’on pressent d’emblée à la « place du mort » , enfin des paires possibles de ce casting et de tout ce qui se passe visiblement ou invisiblement dans ce dédale à la Escher où le pfff revêt toutes les nuances d’expression.
Hélène Sturm. Pfff. Editions Joëlle Losfeld, 233p.