Comme nous l’avions déjà expliqué, interpréter un discours en français vers la langue des signes ne signifie pas accoler un signe à un mot à toute vitesse. Ce serait un travail fastidieux voire impossible et la langue des signes perdrait son statut de langue pour devenir un simple langage (comme le langage informatique par exemple) puisqu’il ne s’agirait alors que d’effectuer du transcodage.
Pour parvenir à effectuer une interprétation de qualité, pour pouvoir affirmer que tous les propos, les thèmes ou les situations sont interprétables du français vers la langue des signes (et inversement) il est nécessaire d’opérer un travail de déverbalisation.
En d’autres termes, pour faire comprendre le sens d’un énoncé dans une autre langue, il faut le réexprimer dans des formes qui seront d’autant plus claires qu’elles auront été trouvées dans le refus conscient de la transposition verbale (ou transcodage).
Généralement, le processus d’interprétation (qui est aussi valable pour les interprètes en langue vocales) se découpe en 6 étapes :
1- Ecouter
2- Comprendre et analyser le sens
3- Retenir le sens
4- Visualiser des images mentales, ébaucher une première interprétation mentale
5- Interpréter vers la langue des signes
6- Contrôler mentalement la bonne qualité de la traduction.
L’acte de déverbaliser se situe entre la 3ème et la 4ème étape et c’est évidemment l’étape la plus importante dans le processus d’interprétation. Il s’agit pour chaque unité syntaxique (ou phrase) de libérer le message de l’auteur de la langue qui lui a donné naissance et de le transformer en images mentales qui ne reposent sur aucun support langagier. Le sens est alors « déverbalisé » (en simplifiant, on pourrait dire détaché du mot, du verbe, de l’adjectif). Cette étape est assurément la plus mystérieuse de tout le processus de traduction. Le sens est là, on le « voit » mais il n’est ancré dans aucun réceptacle. Plus le sens se détache de son support premier et plus facile est l’étape qui suit, à savoir le réancrage du sens dans la langue d’arrivée (en l’occurrence l’étape n°5, l’interprétation en langue des signes).
C’est pourquoi, nous (les interprètes en général et plus particulièrement les interprètes en langue des signes) devons impérativement, dans notre démarche de traduction, passer par des schémas (mentaux) qui nous permettent de construire puis de « voir » des images. De plus, les langues des signes étant des langues visuelles, ces images nous aideront ensuite à « placer » le discours que nous interprétons dans l’espace de signation situé devant nous.
Ceci explique également pourquoi nous avons besoin d’avoir un léger décalage (une à deux secondes généralement) entre le discours original et son interprétation. En effet, dès le début du discours, et afin de pouvoir correctement déverbaliser (ou visualiser) il nous faut un temps d’écoute actif durant lequel nous analysons le sens du message avant de le retransmettre en langue des signes.
Pour illustrer ce propos, voici un texte extrait d’un journal télévisé (journal de BFM TV du 11 Août 2010) puis un exemple de déverbalisation permettant de le « construire en images » afin de le traduire en langue des signes française :
La transcription (trame de l’interprétation finale) en langue des signes donnerait quelque chose comme ceci :
<marée noire de pétrole> <dirigeants BP ont quitté> <sont allés à la Maison Blanche à Washington> <ils ont vu Obama> <20 milliards de dollars sont prêts pour les victimes> <Obama content> .