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La critique est morte | Vive la critique

Publié le 25 février 2011 par Angèle Paoli

Point de recontre 22 février 2011
Source Ph.

CECI N’EST PAS DE LA CRITIQUE LITTÉRAIRE

   Ceci n’est pas de la critique littéraire. Tout au plus une esquisse de compte rendu. Pas même exhaustif. Teinté de quelques fantaisies de mon cru.

   Le 22 février 2011 étaient conviés à la librairie « Le Point de Rencontre », à Bastia, Marie-Jean Vinciguerra, Jacques Fusina, Marc(u) Biancarelli, Marc Giannesini. Tous connus et reconnus, en Corse, tant comme écrivains que comme chroniqueurs et critiques écrivant sur l’île, dans l’île. Animé par Hélène Mamberti, le sujet du jour portait sur la critique littéraire.

  La critique littéraire existe-t-elle ? Quel est son objectif ? Est-elle indispensable ? Peut-elle contribuer à tirer de l’oubli des ouvrages qui y sont tombés ? Est-elle susceptible de lancer un auteur ? Dans quelle mesure la critique peut-elle faire revenir à la lecture ? Comment, dans un journal, se répartit-on les critiques ? Autant de questions soulevées au cours de la soirée par Hélène Mamberti et abordées par les auteurs, à tour de rôle.

  Journaliste à Libération, Marc Giannesini établit une distinction entre critique universitaire et critique journalistique. La critique universitaire ou para-universitaire, très particulière (est notamment cité le nom de Roland Barthes), se trouve d’emblée écartée. Reste l’autre critique, à caractère événementiel. En ce qui le concerne, Marc Giannesini se situe depuis toujours du côté de la critique journalistique. Qu’elle concerne la télévision, le cinéma ou les livres, cette critique obéit à une éthique qui est celle du journal pour lequel un journaliste travaille. L’éthique de Libé n’est pas celle du Monde des livres ni celle du Figaro littéraire. Par ailleurs chaque journal a sa pratique de la critique littéraire. Le Monde pratique le commentaire ; Libération cite le texte. « On est entré dans l’ère américaine », affirme Giannesini.

  Comment cela fonctionne-t-il ? Le journal sélectionne les livres qu’il croit bon de retenir. Un critique littéraire payé par ce journal est censé lire les 60 à 80 services de presse qu'il reçoit par semaine. Ce qui est demandé au critique, c’est de remplir des pages. La répartition des textes critiques se fait par rubriques, en fonction des sensibilités. Poésie/philosophie/histoire…

  Pour Giannesini, la configuration du terrain de la critique a changé. Dans le passé, les livres étaient moins nombreux et il y avait davantage de lecteurs. Il y avait aussi de grands écrivains et de grandes plumes. Au journal Libération, Le Clézio n’intéresse personne. Les papiers qui sont rédigés pour lui sont des papiers de convenance, conventionnels. Quant à Houellebecq, il est « l’œuvre » de Libération. Dans la bouche de Giannesini revient à plusieurs reprises le nom d’Albert Thibaudet dont l’auditeur saisit qu’il fut et qu’il demeure toujours pour le journaliste de Libé, LA référence. Bertrand Poirot-Delpech, inaugure, lui, la « critique copinage ». Les livres sélectionnés sont les livres des amis. Et Giannesini de conclure sur ce point : la critique littéraire est morte.

  À relire ces notes prises sur le vif, je me demande s’il y a un lien de cause à effet entre les deux affirmations précédentes. Seul le critique de Libération pourrait nous le confirmer ou infirmer.

  Romancier et poète de langue corse, Marc(u) Biancarelli dit avoir du mal à se définir comme critique littéraire. Il n’a aucune obligation d’écrire sur un sujet ou sur un autre. Il choisit ce dont il veut parler. Son projet est de donner envie de lire ce que lui-même a aimé. L’auteur de Vae victis et autres tirs collatéraux, ouvrage publié en 2010 par les éditions Materia Scritta, se sent davantage écrivain que critique littéraire. Mais il voit dans la critique un relais, sans asservissement à qui que ce soit. Même si la « vox populi » s’est emparée de ses livres, l’auteur regrette l’insuffisance des relais critiques mais reconnaît qu’avec internet les retours sont considérables. Quant à ceux qui reprochent à l’auteur sa violence, son goût du stupre et des mots orduriers, il faudrait leur opposer une critique de la critique.

  Marie-Jean Vinciguerra reprend l’idée, déjà mentionnée par Giannesini, de « l’esprit de la maison ». Un esprit que le critique doit se garder de trahir ! L’auteur de Chroniques littéraires (ouvrage publié par Alain Piazzola) privilégie lui aussi le « coup de cœur ». Il insiste également sur le plaisir d’écrire ― un plaisir solitaire ― et celui de donner à lire ― plaisir du partage. Plaisir de lire | plaisir d’écrire. Les deux vont de pair et se complètent. Marie-Jean Vinciguerra cite en exemple Jean-François Revel pour qui le nombre et l’importance de critiques écrites sur un auteur constituent parfois à elles seules une œuvre à la manière de Borges. Ainsi de l’écrivain Angelo Rinaldi, référence littéraire corse de Marie-Jean Vinciguerra. Les critiques qui lui sont consacrées constituent une œuvre à part entière, presque aussi importante que l’œuvre en elle-même.

   Dans un second temps de réflexion, Marie-Jean Vinciguerra évoque le XIXe siècle. C’est l’époque par excellence de la critique littéraire. Au siècle suivant, Sartre reprendra à son compte dans Qu’est-ce que la littérature les grandes questions qui faisaient alors débat : Que fait la critique ? Pourquoi écrit-on ? À cette époque-là, le champ de la critique littéraire déborde largement les frontières de l’Hexagone. Le rayonnement de la critique française s’exerce sur le monde. Qu’en est-il de la Corse ? L’espace géographique est-il un espace suffisant ? Adapté ? Selon Marie-Jean Vinciguerra, il faut distinguer critique du continent et critique insulaire. La critique insulaire s’appuie sur des thématiques propres à la Corse : la langue, l’identité culturelle, les femmes… Les insulaires apportent sur ces questions un éclairage tout particulier. Pour ce qui est du style, Houellebecq est, aux yeux de MJV, l’exemple même de l’écrivain sans style. Rinaldi, au contraire, pour qui « le style n’est rien en somme que l’éternité », est un orfèvre en la matière.

  Le critique se doit d’examiner si le texte résiste au temps. Que reste-t-il des écrivains corses dont Jacques Fusina retrace les parcours ?

ENTRACTE

   Une dame blonde, fort agitée, fait intrusion dans notre petite assemblée. Elle se précipite, sac en bandoulière entortillé dans sa chevelure défaite, sur un siège demeuré vide au premier rang. Le rang des auteurs. Tout le monde pense qu’il s’agit d’une retardataire, invitée surprise d’Hélène Mamberti. D’autant que la dame, sur un ton précipité, s’empare de la parole, s’excuse du retard, s’en prend au public, invective les auteurs, s’insurge, peste que ça piétine, qu’on s’ennuie… Pas du tout, rétorque le public. Qui êtes-vous ? Présentez-vous au moins. Elle bredouille « Association ! Pastel » !!! C’est ce que je comprends. Elle repart dans un mouvement d’humeur martiale qui nous fait éclater de rire. Qui était-elle ? « Qui ce sera ? » Personne ne le sait. Personne ne le saura. Nul ne la connaît. Pas même Hélène Mamberti qui n’avait pas prévu une telle entrée en scène intempestive !

Retrouver le fil…

  Ayant relu Écrire en corse, dernier ouvrage de Jacques Fusina, Marie-Jean Vinciguerra rend compte de son admiration pour le souci de précision et d’exhaustivité qui a motivé l’auteur. Jacques Fusina met en effet en relief l’importance de la création littéraire insulaire.

  Ce que dit Marie-Jean Vinciguerra au sujet d’Écrire en corse est juste. Mais, si cet ouvrage d’érudit est remarquable en bien des points, il n’est pas à proprement parler un ouvrage de critique littéraire. Il s’agit, de mon point de vue, d’un ouvrage d’histoire littéraire davantage que de critique littéraire.

  Jacques Fusina revient sur la question des choix. Selon lui, le choix des ouvrages est d’abord celui du Journal. Mais aussi celui des éditeurs et celui de l’opinion. Les pressions, médiatique et mondaine, existent. Il faut savoir s’en détacher. C’est aussi au lecteur de se mettre à la recherche d’œuvres plus secrètes et plus originales. Pour Jacques Fusina, en ce qui concerne la Corse, il faut prendre en considération le fait que les longs articles rebutent les lecteurs. Tout l’art consiste à présenter une œuvre de manière attrayante, sans en dévoiler tous les rouages. Il en est de même pour toute forme de critique, qu’elle soit d’art ou de cinéma.

   Quant à la question de « l’éreintage » d’un auteur ou d’une œuvre, c’était pratique courante au XIXe siècle. Marie-Jean Vinciguerra, Jacques Fusina et Marc Giannesani sont bien d’accord sur ce point. Les haines d’auteurs y étaient effrayantes. Au XXe siècle, Rinaldi s’y entendait pour éreinter ses comparses. Cette pratique est aujourd’hui dépassée. Elle n’a plus cours. La critique corse, elle, est conciliante, sans doute parce que tout le monde se connaît. Mais cela lui est souvent reproché. Au cours du débat, d’ailleurs, une voix de femme, celle d’une comédienne, a exprimé cette critique. Le public corse, selon elle, est trop gentil et les acteurs se ressentent de ces critiques exclusivement positives. La critique est saine et constitue une mesure d’étalonnage à laquelle se référer. Sans regard critique, une troupe théâtrale ne peut progresser. Un acteur du « Teatrinu » de Bastia déplore à son tour l’absence totale de la critique dans la presse locale. Le théâtre mais également le cinéma souffrent de n’avoir aucun écho du travail qui est présenté au public. Mieux vaudrait être éreinté que d’avoir à supporter ce silence sans retour. Marie-Jean Vinciguerra met l’accent sur l’importance du débat, sur la confrontation des points de vue. Le critique engage sa responsabilité auprès du lecteur qu’il se doit de respecter.

  Marie-Jean Vinciguerra établit une différence entre style de rage et style de haine. Ainsi définit-il le style de Marcu Biancarelli dans Vae victis et autres tirs collatéraux comme un style de la rage. Un style de la fureur. Et d’ajouter que Vae victis, « ça vaut du Céline » !

  À ce tournant du débat, je ne suis pas loin de penser que Marie-Jean Vinciguerra ne peut s’empêcher de s’aventurer sur le terrain d’une certaine complaisance. J’en éprouve une forme de déception et de bouillonnement intérieur ! Parce que ce qui est reproché aux Corses s’affiche là en direct sous nos yeux ! Sans que personne dans l’assemblée n’ose répliquer ni intervenir. Pas même François-Xavier Renucci ! Qu’est-ce qui pousse Marie-Jean Vinciguerra à oser cette comparaison ? Marcu Biancarelli prend-il celle-ci réellement au sérieux ? Pour ma part, si je perçois la rage qui anime à jet continu la plume de Biancarelli, je perçois aussi sa haine. Notamment dans un texte comme « Altercolonialistes ». Et si Biancarelli a des accents céliniens, son style ne me paraît pas du tout comparable à celui de Céline. L’auteur de Murtoriu est-il dupe ? D’ailleurs les auteurs fétiches de Biancarelli, c’est dans la littérature américaine qu’il faut les chercher. La grande. Celle de Faulkner, de Cormac McCarthy, ou de John Fante...

  Hélène Mamberti attire l’attention des auteurs sur le fait que de nouveaux espaces critiques se sont ouverts, qui ont modifié l’approche de la critique littéraire. De la verticalité, on est passé à l’horizontalité. Avec la révolution internet, tout le monde s’improvise critique littéraire, dit-elle. De sorte que le métier de critique littéraire tend à disparaître alors même que se multiplient sur la toile les nouveaux critiques. Qui n’ont peut-être pas à leur disposition les outils nécessaires pour accéder à « la critique » stricto sensu.

  François-Xavier Renucci oppose à ce point de vue que tout le monde a le droit d’écrire, de dire, d’exprimer son opinion, de proposer son analyse, quelle qu’elle soit. À propos de Jérôme Ferrari et de son dernier roman, Où j’ai laissé mon âme, François-Xavier Renucci fait d’ailleurs remarquer que le débat a eu lieu ailleurs que dans la presse. Il a eu lieu sur la toile, par blogs interposés. Il ajoute que, dans son blog « L’or des livres », Emmanuelle Caminade a consacré toute une analyse à la question du style dans le roman de Ferrari, analyse dans laquelle elle répond point par point à une critique assez virulente de Joël Jegouzo. Y a-t-il eu pour autant véritable débat ?

  Jacques Fusina, pour qui la revue Kyrn est la première revue à avoir ouvert ses pages aux textes en langue corse, à la critique et à la création, la critique est un acte militant. « La critique est morte », répond à nouveau Marc Giannesini en écho assourdi !

Angèle Paoli
D.R. Texte angèlepaoli


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