J’ai lancé une rose sur son cercueil avant qu’il ne soit enseveli. Et je n’ai trouvé que ces mots pour lui dire au revoir: « Terre, sois-lui légère ! » Puis j’ai mis mes lunettes de soleil. Nul ne verrait ma peine. J’ai regagné ma voiture. Il était temps de lire la lettre qu’il m’avait laissée. Je me suis enfoncé dans le fauteuil en cuir noir et j’ai lu les derniers mots de mon père :
« Fiston,
Je te laisse ma deux chevaux, fais-en bon usage. Tu verras, j’ai laissé dans la boîte à gants des cigares. N’aie pas peur de les fumer au volant. Ca donne une envie folle de liberté. Il y a de la suie, de la sueur, de la peur autour de cette voiture, il ne faut pas en avoir honte. Pourquoi refuserais-tu de jouer les fils à papa ? Un héritage, ça ne se bazarde pas si facilement. Sur les sièges, il y a des trous. La cendre tombe parfois un peu mal. C’est comme les femmes, blondes ou brunes, on ne réussit pas toujours son coup. Enfermé dans son bocal, il est parfois difficile de faire tomber son masque, d’arrêter de dire oui à tout, bouche bée, toujours prêt à recevoir la béquée.
Je ne peux pas me mettre à ta place et j’en suis désolé. Je ne peux comprendre la peine d’être le fils du patron de l’usine. Moi, je ne l’ai pas été. Je venais de ma campagne et j’avais lu trop de livres. Je voulais me frotter à la grande ville, être un homme en salopette bleue. D’ouvrier, je suis devenu communiste J’ai appris boulon, soudure et puis arcanes du pouvoir, connexions. J’ai appris à entrer dans le moule et puis à en sortir. J’ai appris à mettre une veste et puis à la retourner.
Mon fils, je te donne ma deux chevaux rouge. Accepte-la je t’en prie, elle pourra toujours te servir dans les barricades.
PS : les cigares sont des Romeo y Julieta, mes préférés. Tu verras, ils se consument avec lenteur et délices comme ces deux jeunes héritiers qui se sont cramés trop vite à l’ombre de leurs aînés…
PSS : pour réussir sa vie, un homme doit faire un enfant, écrire un livre et planter un arbre. A bon entendeur, salut ! »