Edgar Morin, La méthode, vol.I, La nature de la nature (extrait)

Publié le 27 février 2011 par Xavierlaine081

 

“[…]L'information devient notion maîtresse, maître-mot. Elle est maîtresse de l'énergie qu'elle manipule, enchaîne, déchaîne (mais qui manipule l'information?). Le programme qui régit la machine est roi (où sont l'homme et la société qui ont constitué le programme?). Le code génétique est le programme qui régit la cellule et par extension l'organisme, la vie (mais d'où vient ce programme? qui l'a formulé? pourquoi a-t-il besoin des produits qu'il fait exécuter pour exister?). L'information régit la société via normes, règles, interdits (à condition d'oublier les rapports de domination, exploitation, solidarité entre les groupes qui déterminent autant les règles, normes, interdits qu'ils sont déterminés par ceux-ci).

Ainsi l'information devient impériale précisément en occultant les caractères multidimensionnels, récursifs, rétro-actifs, concrets dans et par lesquels il faut comprendre la machine, la vie, la société. Elle revendique dès lors l'univers, dans la jonction des deux royaumes dont elle se dit l'héritière. Dans le premier régnait la Matière, dans le second règnait l'Esprit. L'information prétend au premier par son caractère physique, au second par son aptitude universelle au commandement. Sa vertu, son efficacités sont garanties, prouvées, par la machine et l'ordinateur. Du moment que le bit y fonctionne, c'est qu'il a valeur universelle. Tout ce qui est bon pour une machine (artificielle) est bon pour la nature. Tout ce qui est bon pour l'ordinateur est bon pour l'homme.

Une fois de plus, nous voyons comment une notion au départ élucidante devient abêtissante, dès qu'elle se trouve dans une écologie mentale et culturelle qui cesse de la nourrir en complexité. […]”

Edgar Morin, La méthode I, La nature de la nature, éditions du Seuil