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A contrecœur.

Publié le 27 février 2011 par Sophielucide

Je souris lorsqu’elle me dit qu’elle ne me comprend pas, que je demeure une énigme pour elle. Ma force gît dans le mystère de mon mutisme. Elle restera tant qu’elle ne m’aura pas saisi et je suis au bord du fou-rire chaque fois qu’elle me nargue de sa pseudo intelligence. Les mots l’obsèdent. Il s’agirait que je m’exprime une fois pour toute au lieu de m’échiner à communiquer. Pourtant elle répond toujours présente quand il s’agit de la niquer. Je deviens vulgaire à son contact et c’est ce qui l’excite sans doute. Nous voyons, l’un comme l’autre, la rive approcher mais nous nous entêtons à ne pas l’aborder, nous rejetant mutuellement la faute originelle de nous être choisis.

Les mots l’obsèdent et ils me tétanisent.  Je l’écoute, néanmoins, fasciné par sa verve insatiable, et depuis quelque temps, elle m’injurie en vers.  Sans goûter à la poésie, je sais reconnaître un alexandrin. Elle se met en scène et je suis le spectateur unique du même pamphlet revisité. Il est au point. Elle maîtrise sans effort chacune de ses répliques. Elle se donne à fond, jusqu’à ce qu’épuisée, elle salue avant de s’éloigner. A reculons.

Je ne sais toujours pas ce qu’elle attend de moi ; un partenaire qui bondirait, s’exclamerait, se révolterait, userait même de violence physique, si ça se trouve…. Je n’en vois pas l’intérêt ; mon énergie est mesurée, réservée, concentrée sur mes actes. Eux seuls comptent, c’est ma seule croyance. Mais je suis, à mon corps défendant, toujours impressionné par l’art qu’elle distille dans une vacuité qu’elle compose avec une drôle de délectation.  Surtout quand elle agite les bras, qu’elle fait les cent pas, qu’elle secoue ses cheveux, qu’elle postillonne parfois ; petit moulin à vent émouvant sur la rivière calme de mes bonnes intentions.

Après le tumulte d’une émotion qu’elle ne finit pas de touiller, fidèle au poste, face au fourneau de ses agitations stériles, elle positionne le curseur sur feu doux. Pendant qu’elle laisse mijoter ses tergiversations, elle se tiendra prostrée, capable soudainement de ne plus bouger. Elle attend que le fumet d’une question restée sans réponse réveille ses narines qui se mettent à frétiller tandis que ses sourcils se froncent.  Elle est comme un chat, tapi  dans les hautes herbes, prête à bondir sur la plus petite feuille qui viendrait froisser l’air.

Elle finira par se faire mal, c’est ce que je redoute. Qu’elle se blesse toute seule, qu’elle griffe son visage, une fois qu’elle aura desserré ses petits poings. Quand sa frimousse se grise d’une folie que je suis seul à voir. Lorsque je m’ennuie, je lui lance ces deux petits mots : « reproche », « folie », comme un dompteur flatterait ses fauves d’un morceau de noix de gîte. Ses yeux roulent dans leurs orbites et le sang quitte l’espace d’un instant son visage mat. Echec !

Elle n’a pas eu d’enfant par crainte de ne posséder cet instinct animal qui fait toute sa grandeur et j’essuie désormais, depuis sa ménopause, cette rancœur avortée. Je l’aurais laissée faire pourtant, je ne suis pas contrariant.

Nous sommes seuls, des deux côtés du rideau, et tandis qu’elle déroule sa tragédie en trois actes, je ne sais toujours pas à quel moment je devrais rire ou bien pleurer. Malgré tout ce qu’elle croit, je ne manque pas d’émotions, simplement je ne connais pas le registre adapté, celui qui lui plairait que j’adopte. Ses mots se plantent en moi. Durablement. Depuis le temps, je connais par cœur chaque réplique, je m’y prépare, j’accueille comme je le peux les pointes acérées de sa cruauté sans m’y habituer. Elle réussit à chaque fois à me désarçonner. Je redoute les week-ends et pendant que la plupart des gens se plaignent du fameux blues du dimanche soir, c’est au même moment que je commence à vivre. A l’heure où je repasse ma chemise du lundi. Que je sais que dès le lendemain je reprendrai la main, et que de son côté, qu’elle le veuille ou non, condamnée à m’attendre, elle peaufinera durant toute la semaine le one- woman- show de son Saturday night live.

Si je me décide après tout ces années, à vous consulter, docteur,  c’est, croyez-le, après avoir mesuré avec soin nos intentions inconjuguées. Pour son bien, en quelque sorte. Non pas que je sois lassé d’un corps que je connais par cœur, ni d’un esprit constamment en alerte, pas même d’un cœur qu’elle prend plaisir à faire saigner, toujours au même endroit, toujours à la même heure, mais bien parce que j’ai peur.

Qu’elle prenne mal mon inclination pour ma nouvelle stagiaire, à la peau aussi fraîche que son haleine. A la discrétion aussi ostentatoire que sa paire de nichons.

Où dois-je signer, docteur ?


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