Souvenir d'une rencontre
Walter Bonatti représentait, à nos yeux de jeunes fous de montagne, le héros parfait comme on n’en voit plus aujourd’hui, et lui restait à part, solitaire comme il l’avait été dans ses plus grandes premières, et je l’avais maintenant en face de moi, plus court sur pattes que je ne me l’étais imaginé mais splendide en ses proportions, solide et net, inspirant aussitôt la confiance mais sans flatterie, aimable et bientôt fraternel quand je lu
Une ombre cependant à passé sur son visage de vigoureux sexagénaire aux yeux d’un noir ardent, lorsque nous avons évoqué les attaques sordides dont il fut l’objet après l’expédition au K2, de la part de coéquipiers envieux. Or, trente ans après les faits, on sentait que cette vilenie lui avait laissé plus qu’une cicatrice: une rage tenace contre ceux qui ne jouent pas le jeu, et c’est ce qui le mobilisait encore dans ses reportages évoquant les beautés de la planète, mais aussi les déprédations de notre espèce.
“Dino était un génie”, me dit-il après que je lui eus raconté ma découverte du Désert des Tartares sur le parcours de la Haute Route, un jour que nous étions immobilisés par le blizzard. “Dino Buzzati cachait, sous son air un peu glacé de Monsieur toujours tiré à quatre épingles, le chaos de tous les vrais artistes sensibles, avec des histoires de femmes très compliquées, des révoltes de jeune homme et des rires d’enfant. J’aimais beaucoup ses silences, lorsque nous étions ensemble en montagne...”