Galop d'essai.

Publié le 28 février 2011 par Elb

Roy Lichtenstein, in the car, 1963

Rodolphe avait rencontré Hélène chez des amis communs, lors d'un de ces dîners où l'on a fait bien attention de respecter la parité des convives et à proposer aux célibataires présents de rencontrer l'âme soeur entre la poire et le fromage.
Rodolphe et Hélène ont chacun un lourd passé affectif qu'ils ont le bon goût de garder pour eux, ce qui explique que nous n'en sauront pas plus.
Ils aimeraient, la quarantaine passée, retrouver un second souffle, des émotions qu'ils n'ont plus connu depuis longtemps genre grand amour qui déchire tout, mais savent par expérience qu'il vaut mieux rester prudent et qu'Hollywood ce n'est pas la porte à coté.
A table puis sur un canapé, ils discutent, plus que par politesse. Enchanté par sa voisine pétillante, Rodolphe lui propose d'aller voir le dernier film des Frères Cohen pour lesquels ils partagent le même engouement.Elle accepte.
Ce soir là, il passèrent une charmante soirée, le film était bon, les commentaires des deux amis pertinents. Pour continuer leur conversation débridée, il l'invite à dîner deux jours plus tard.
Ils partagent encore de bons moments, ils s'amusent beaucoup et créent en eux une certaine complicité, insouciante et sans arrière pensée.Ils continuent de se retrouver régulièrement, avec un plaisir sans cesse renouvelé, tant et si bien qu'au bout de quelques mois, sans être inséparables, ils ne voient plus personne d'autre.
Un soir, alors que Rodolphe raccompagnait Hélène chez elle, cette dernière consultant son calepin lança dans le fil de la conversation : "Tu sais que que cela fait exactement 6 mois ce soir que nous nous sommes rencontré ?"
Un ange passe dans la voiture, bien que les vitres soient fermées, mais il passe quand même, ce qui n’empêche pas les réflexions de fuser bon train. 
Au fond d'elle même, Hélène se dit : "Bon sang, t'es conne ou quoi ? Qu'est-ce qui t'a pris de dire un truc pareil ? Maintenant il va croire que je compte les jours, ou pire que j'aimerai que notre relation évolue vers quelque chose qu'il ne souhaite peut-être pas..."
Rodolphe par devers-lui : "Putain, six mois !"
Hélène se dit ensuite : "N'importe quoi vraiment, ma pauvre fille...ça va le tracasser c'est sûr. Alors que ça me va moi ce genre de relation, enfin je crois, on se connaît à peine après tout. Et j'y ai pas vraiment réfléchi non plus. Est-ce que j'ai vraiment envie que nos rapports évoluent vers, je sais pas moi...un niveau d'intimité plus...sexuel, ou vers, une vie ensemble, un mariage ? Est-ce que je suis prête pour ça ?"
De son coté, Rodolphe n'est pas en reste au niveau réflexion : "Voyons, six mois, ça fait novembre, ouais. On a commencé à nous voir juste après avoir acheté la voiture, ce qui signifie que...il jette un coup d'oeil au compteur...Oh la oui ! j'suis à la bourre pour la vidange depuis un petit moment déjà !"
Hélène voit sa mine se renfrogner : "Il est énervé maintenant, voilà, t'as gagné ! Je peux le voir sur son visage. Peut-être que je l'ai mal jugé après tout...peut-être qu'il a envie de plus d'engagement, plus d’intimité, et qu'il perçoit ma réserve comme un rejet...C'est pour ça qu'il dit rien sur ses sentiments. Il a peur d'être rejeté."
Rodolphe perdu dans ses pensées : "J'vais en profiter pour faire re-vérifier la carbu, j'ai l'impression qu'elle rame un peu là...Et tant pis si ils me prennent pour un maniaque, ils ont beau dire ce qu'ils veulent, cette bagnole a autant de pèche qu'un camion-poubelle...et dire qu'ils m'ont facturé 850 €, la dernière fois ! Qu'elle bande d'escrocs ces garagistes !"
Et Hélène pense : "Il est furieux. Et je ne le blâme pas. Je serais furieuse, moi aussi en fait. C'est de ma faute...Qu'est-ce que je peux faire ?"
"Ils diront probablement que c'est garanti seulement 90 jours. C'est exactement ce qu'ils vont dire, ces enfoirés."
Hélène, toujours en son for intérieur connait ses faiblesses : "Je suis trop idéaliste aussi...le prince charmant, du haut de son cheval blanc, qui m'enlève, pff...n'importe quoi...J'ai la chance d'être à coté d'une personne sensible, qui m'écoute, que j'apprécie et qui semble vraiment s’intéresser à moi...et moi à cause de mon égocentrisme, je peux pas m’empêcher de le fâcher avec mes idées romantiques d'ado attardée..."
Rodolphe continue de fulminer : "Garantie ? Je leur foutrai dans le cul leur garantie à la con..."
- "Rodolphe ?", dit Hélène à haute voix.- "Pardon ?" dit Rodolphe, surpris.- "Ne te torture pas comme ça, s'il te plait," dit-elle, les larmes aux bords des yeux . "Peut-être que je n'aurai jamais dû... Oh, je me sens si......"
Elle prend son visage entre ses mains, en pleurant.
- "Mais que...?" dit Roger.- "Je suis une imbécile," sanglote Hélène. "Je veux dire, je le sais bien qu'il n'y aura pas de..Je le sais vraiment. C'est bête. Il n'y a pas ni cavalier, ni cheval."- "Il n'y a pas de cheval ???"- "Tu me prends pour une idiote, n'est-ce pas ?"- "Non ! Bien sur que non !" s'exclame Roger soulagé de pouvoir enfin donner une réponse cohérente.- "C'est juste que... C'est que... J'ai besoin de réfléchir" souffle Hélène.
Il y a une pause de 15 secondes pendant laquelle  Rodolphe, mal à l'aise se demande ce qu'il a pu bien dire ou faire...Il réfléchit aussi vite qu'il peut, essayant de trouver une réponse sûre...Finalement il opte pour un "Oui, bien sûr" sibyllin au possible.
Hélène, profondément émue, lui prends la main.- "Oh, Rodolphe, cela ne t'ennuie pas ?"- "Quoi donc ?".- "Que je choisisse cette option ?"- "Option ? "
- "Oui, l'option du temps, y penser un peu avant de...me remettre...en selle, enfin tu vois quoi ?"
Hélène se tourne vers lui et le fixe profondément dans ses yeux, ce qui met Rodolphe encore plus mal à l'aise. Il se demande ce qu'il ou elle pourraient dire ensuite, surtout si cela allait encore impliquer un cheval...Il n'aime pas monter, et à dire vrai il a une frousse bleue des canassons...- "Merci, Rodolphe" dit-elle.- "Mais non, merci à toi Hélène", conclue-t-il content de s'en tirer ainsi.
Il la dépose chez elle. Une fois entrée, elle se précipite vers sa chambre où elle se jette sur son lit, les pensées confuses, une sourde angoisse qui la tint éveillé jusqu'à l'aube.
Chez lui, Rodolphe, un peu interloqué par le brusque changement d'humeur d'Hélène, si gaie et amusante jusque là, s'installe devant sa télévision. Il se met à gober la retransmission d'un match de tennis entre deux obscurs croates comme un ravi de la crèche. Une petite voix, venu du fond de son esprit lui dit qu'il s'est passé quelque chose d'important dans la voiture...Mais il n'arrive pas à trouver le début d'une explication à cette scène, ni aux paroles d'Hélène.
Il se dit également que ce n'est pas ce soir qu'il trouvera la réponse à ces énigmes, et qu'il ferait mieux de ne plus y penser, ce qu'il fit, instantanément.
Le lendemain Hélène appellera son amie et confidente la plus proche, ou peut-être deux d'entre elles pour plus de sûreté, et elles parleront de cette situation pendant plus de six heures de jour-là et les jours qui suivirent.Elles analyseront ensemble, le moindre détail, tout ce qu'il a pu dire, revoyant de nombreuses fois les moments  qu'ils ont passé ensembles, explorant chaque mot, chaque expression, chaque gestes et nuances dans ses regards. Chaque interprétation sera étudiée sur plusieurs angles, avec plusieurs extrapolations possibles.
Elles n'arrivèrent à aucune conclusion certaine, mais ne s'ennuyèrent pas une seconde.
Peu de temps après, Rodolphe, jouant le squash avec un ami commun, marqua soudain une pause juste avant le service, et demanda :-"Tu savais que Hélène avait fait de l'équitation ? Et j'ai l'impression qu'elle a fait une mauvaise chute, ou un truc dans le genre..."