2 + dans la marge.

Je vous remercie d’avoir répondu à ma convocation ; je note d’ores et déjà deux + dans ma marge.

La situation,  comme vous devez vous en douter, est préoccupante ; il s’agira pour moi, à la fin de notre entretien, de prendre une décision, je suis donc à votre écoute.  J’ai été alertée par Mme François, émue du sort de votre enfant.  A quatre ans, il n’est pas encore trop tard pour redresser la barre et votre présence atteste de votre implication dans son éducation.  Vous travaillez tous deux et peut-être vous a-t-il échappé que votre enfant avait acquis une certaine autonomie ; Il est de mon devoir, en tant que personnel éducatif de vous tenir informés. Croyez bien que ce n’est pas de gaité de cœur que je joue ce rôle de Cassandre mais Mme François ne s’est pas sentie, à juste titre, apte à vous apprendre cette triste nouvelle.

Comme vous le savez, je viens d’auditionner l’enfant, à qui je veux bien laisser le bénéfice du doute quant à l’innocence de son entreprise mais je ne peux concevoir que vous deux, ne vous soyez rendus compte de rien ! D’autant qu’il m’apprend que non seulement il dispose dans sa chambre à coucher d’une bibliothèque, mais encore, mais j’attends votre confirmation, que vous lui lisiez, à tour de rôle, des histoires chaque soir.  Je ne peux vous cacher que cette attitude irresponsable va nuire durablement à l’épanouissement de votre enfant.  Le préjudice qu’il crée ainsi le poursuivra durant sa scolarité et  va devenir dommageable pour la société que je représente ici ; je vois mal comment il pourra ne pas perturber les différentes classes qu’il devra fréquenter par l’arrogance de sa connaissance. Je dois également vous informer qu’en plus de savoir lire, il écrit en cachette, et sans fautes !

Notre métier, comme vous n’êtes pas sans ignorer est en quelque sorte un sacerdoce qui repose principalement sur l’utilité de notre vocation. Votre rejeton est en train de la ruiner auprès de ses petits camarades et cela, je dois vous le dire tout de go, est proprement inacceptable. Pas plus tard qu’hier, il a soulevé un groupe sous sa morbide influence, en introduisant, alors que le règlement l’interdit formellement, une bande dessinée qu’il a lue, du début à la fin, au nez et à la barbe de son institutrice.  Le chaos n’est pas loin, l’ambiance est délétère, je dois mettre un terme à cette attitude néfaste. Aussi ai-je décidé, avec votre consentement, de le renvoyer de notre établissement.

J’aurais pu tergiverser si les derniers griefs le concernant avaient été occultés par Mme François, mais la coupe est pleine. Ecoutez plutôt : ce matin même, lors de la séance d’athlétisme du vendredi, une course était organisée. Votre fils, non content de la remporter, n’a cessé, le long de son parcours, de se retourner afin de mesurer la longueur d’avance qui l’éloignait des autres. Vous comprendrez aisément que cet instinct de compétition va à l’encontre même de tous les préceptes enseignés ici et je ne peux que faire le lien avec vous, ses géniteurs, car je ne vois pas où il aurait pu trouver ailleurs cette idée saugrenue de mesurer ainsi sa propre performance. Cependant, en accord avec Mme la directrice, nous ne vous signalerons pas à la Ddass, à charge pour vous de lui trouver un établissement adapté. Je n’irais pas non plus jusqu’à vous saluer, j’en ai suffisamment entendu et je préfère consacrer mon temps à ceux qui le méritent.

En tant que psychologue scolaire, je me dois de vous laisser partir avec un ultime conseil : ne vous reproduisez plus ! Emportez avant de quitter les lieux, ses étranges dessins…Non mais regardez-moi ça, il prétendait en le rendant à la maîtresse que les soleils brillaient dans la classe !