Feu sur le roman

Publié le 01 mars 2011 par Cjhenry

 

Ignition (Crédits photographiques : CJH.)

   Bon, soyons sérieux : si nous ne nous prémunissons pas contre le mauvais roman, à savoir contre  tous ces trucs sous vide qui s'accumulent dans les rayons de nos librairies climatisées, contre tous ces objets manufacturé et gonflés à l'air vicié qui encombrent nos tables (de nuit) et qui gâchent nos transports (sur rail),  contre tous ces machins à la façade ravalée et au mobilier standardisé – patience : l'Ikeaïsation du roman (français) et la McDoïsation du goût de lire sont en marche qui franchiront bientôt la ligne d'arrivée... –, par exemple la farce sans fin ni fond ma tronche-mon nombril-ma queue-ma chatte, ou bien le bureau-la ville-l'usine-la banlieue, ou bien  la campagne-la montagne-la rivière-les fraises (de l'enfance), ou bien le prêtre-le psy-la pute-le patron, ou bien Tokyo-le Fujiyama-le thé-les sushis, ou bien je ne sais quel rétroviseur enchâssé dans un projecteur pour séances d'analyse onaniste, oui, si nous refusons tout vaccin contre ce genre de bouillon stérile, de filon facile, d'inhibiteur de particules (alimentaires) et de plaisirs majuscules et/ou minuscules, contre ce type de cathédrale en stuc haute en toc avec flaque d'urine de toutou à mémère croupissant sur le parvis dans un motif de feuilles mortes, le tout, bien sûr, avec ce qu'il faut de sexe et d'effroi, de banquettes et de braguettes, de femmes fatales et de paumés bancals, dont on a souvent peine, du reste, à distinguer (et à dissocier) la moraline et le placebo progressiste (la gauche) des phantasmes accrochés au porte-jarretelles des regrets et de la nostalgie (la droite) , et à différencier le croyant du mécréant quels que soient leurs lettre de créance, cahier de doléance ou credo par ailleurs, bref, si nous ne nous protégeons pas contre toutes ces dégoulinures, ces raclures et ses souillures qui répandent leurs exhalaisons de remugle à chaque « rentrée littéraire », contre tous ces combats et toutes ces querelles d'arrière-garde, laquelle arrière-garde laissant accréditer qu'elle est toujours en première ligne (de front), je le dis comme je le pense : nous lisons pour la gloire, sinon pour la postérité, c'est-à-dire pour rien...

   Bien sûr, il faut des histoires, alors on (nous) balance des histoire ; il faut un prétexte (c'est le cas de le dire), alors on nous met en situation ; il faut des personnages, un décor, un scénario avec rebondissements et tout le tremblement, alors on nous fait du cinéma – notez, parfois nous ne dédaignons pas dévorer des livres comme nous bouffons du pop-corn... Ceci posé, loin de moi l'idée de cracher sur les histoires car quiconque crache sur une histoire crache aussi sur une tombe, fût-elle vide, mais les histoires seules, bouclées sur elles-mêmes, ça fait belle lurette qu'elles ne me nourrissent plus, qu'elles me font littéralement crever de soif y compris au pied d'une source miraculeuse, plus justement au pied d'une fontaine à eau fraîche tcomme par hasard oute proche d'un distributeur de boissons chaudes et dégueulasses, là où ça palabre dans tous les sens et sans arrêt... Mais plus qu'une histoire, et mieux qu'une histoire, ce sont la manière et les méthodes du romancier pour la filmer qui, dans le meilleur des cas, font trembler mon réseau neuronal et bouillir mes ruisseaux sanguins jusqu'à la vie reconquise...

   En outre, quand je déguste un roman, j'éprouve un besoin basal et primordial de me coltiner ce que j'appelle le saut qualitatif... En effet, je forme toujours des vœux pour que l'auteur (ou le narrateur) propose sa solution, sinon sa réponse, nous dise sa vérité, voire la Vérité pour les plus infréquentables d'entre eux, comprendre les infalsifiables. Plutôt que de nous mener en bateau, fût-ce un paquebot luxueux pour croisière offerte ou bradée en galante compagnie, j'exige du romancier qu'il me conduise jusqu'à l'autre rive, la rive ultime, et peu importe son nom : l'Absurde célébré, le Nihilisme incrusté, le Néant poétisé, l'Eternité rejointe, la Résurrection incarnée, le Péché racheté, le Salut de la chair (ou par la chair), le Temps retrouvé, l'Amour réinventé, etc.  En ce sens, et uniquement en ce sens, et sur le même « tropisme », et dans le même élan vital, je le confesse sans ambages et sans ambiguïté, il m'est arrivé de lire le Docteur Céline comme le Camarade Genet – je choisis à dessein ces deux frères qui  ne savent pas qu'ils le sont... –, j'entends pour manger et pour grandir, pour sortir (de) et pour m'en sortir, pour m'enflammer et pour me consumer.. Quant aux scribouillards en bleu de chauffe ou en petite culotte qui passent leur temps à me le faire perdre, et qui, immanquablement, m'invitent à faire bronzette et à faire trempette,  puissent-ils apprendre que je ne lis jamais sur les plages, à fortiori sur les plages polluées par les odeurs de beignet à l'huile de friture rance...

   Avant de conclure, je me rends compte de mon silence sur la question du style de l'écrivain, de sa langue, de sa musique savante... Qu'il me soit seulement permis de convoquer ici et maintenant ce mot définitif de Sartre (une fois n'est pas coutume) : « Toute technique implique une métaphysique. »


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