C’est une phrase dans un fort joli texte lu ailleurs. Il a fallu que je demande pour comprendre que la sonorité du verbe aimer en russe convenait si bien. Voilà ce que c’est d’avoir appris un peu cette langue autrefois, j’ai pu lire, comprendre sans trop réfléchir, bien que le souvenir en soit lointain. Pour un moment, nous sommes tous libyens, jusqu’à ce que le régime change. Et puis, nous oublierons et accepterons sans état d’âme collectif quelque nouveau tyran qu’on commencera par apprécier, en raison du progrès qu’il représente en comparaison avec son terrible prédécesseur.
Et celui-là, j’ai un compte personnel avec lui depuis un certain 19 septembre 1989. Mais ce n’est pas ce que j’ai envie d’évoquer ici et aujourd’hui. J’ai lu d’abord une déclaration de Mme Clinton expliquant que son pays n’avait aucune intention d’intervenir là bas. Puis une autre, du nouveau ministre français des affaires étrangères qui cette fois répétait bien « pas d’intervention militaire » mais ajoutait « sans l’ONU ».
Ainsi, on est bien dans une logique qu’il me semblait avoir perçue dimanche soir, lors de cette sortie télévisée du pantin désarticulé qui siège à l’Elysée. J’ai beau me dire qu’il est le seul à être suffisamment aux abois sur le plan national, avec son compère italien peut-être, pour choisir une nouvelle aventure qui imposerait encore le sacrifice inutile de vies, j’ai peur. Certes, la folie meurtrière du dictateur libyen est effrayante et il est légitime d’aider, même après des décennies de silence complaisant, un peuple révolté. Mais personne ne doit se substituer à lui, personne ne doit donner au dictateur l’occasion de retourner une partie de son peuple qu'il méprise contre l’agresseur étranger. Une intervention militaire donnerait le prétexte à certains, pas forcément d’ailleurs à Kadhafi seulement, de s’appuyer sur une dialectique nationaliste, ou religieuse selon ce qui est le plus efficace pour manipuler les esprits, pour restaurer un pouvoir dictatorial. Il est à craindre que les armées étrangères embarquées dans une telle expédition aient beaucoup de mal à s’en sortir ensuite.
Nous qui ne sommes que de simples citoyens, qu’y pouvons nous ? Ceux qui ont assez de talent pour cela peuvent écrire comme le babel ou Julos. Quant aux autres, à moi, à vous, nous pouvons nous insurger et réclamer que l’on cesse de vendre des armes à n’importe qui, que l’on cesse d’inviter n’importe qui à venir déployer son grand spectacle chez nous. Je sais bien que le dire, l’écrire, seul ici, ne sert à rien mais si nous répétons, tous, que nous en avons assez que l’on défende, prétendument en notre nom, des intérêts que nous ne connaissons pas et qui obligent à traiter des assassins qui oppriment leur peuple depuis tant d’années en amis. Ce qui se passe en ce moment de l’autre côté de la Méditerranée devrait nous rappeler qu’aucun pouvoir ne peut se maintenir durablement contre le peuple qu’il prétend représenter. Et cela vaut aussi pour ce qu’on appelle les démocraties ! Depuis une cinquantaine d’années, au moins, la conquête du pouvoir se fait comme la vente d’une quelconque lessive. On cherche à convaincre le peuple qu’il doit suivre une voie sans jamais penser d’abord à ce que le peuple demande. Est-ce encore une démocratie quand un régime désigne à sa tête celui qui ment le mieux ?
Qu’on me comprenne, défendre la libre entreprise ou défendre l’économie planifiée, c’est honorable. Bien sûr, comme tout un chacun, j’ai mes choix, et je ne crois pas à l’économie autorégulée. Je note d’ailleurs que ses plus chauds partisans sont aussi ceux qui sont le plus souvent pour un contrôle sévère et restrictif dans tous les autres domaines. Mais enfin, j’accepte que l’on croit en l'économie de marché et qu'on la défende. Ce que je n’accepte pas en revanche, c’est que l’on me dise ce qui est bon pour moi en me refusant le droit de le contester, et qu’on essaie de me l’imposer par des campagnes répétées de communication qu’au passage on me fait d’ailleurs payer. Quelle différence y a-t-il donc entre une dictature comme celles qui viennent d’être renversées, ou qui le seront bientôt, et un régime qui ne garde de la démocratie que les apparences électorales ? Certes, dans une telle dictature, écrire cela m’enverrait sans autre forme de procès en prison, ou plus sûrement ad patres. Pourtant, la démocratie est dévoyée et le véritable pouvoir n’est plus au peuple mais bien entre les mains d’une petite minorité qui se coopte dans le secret.
Bien sûr, nous n'avons pas atteint le point de non retour, bien sûr nous pouvons encore user de nos droits démocratiques et nous n'avons pas besoin d'une révolution. Pour combien de temps?