Les amants du Tage

Publié le 04 mars 2011 par Araucaria
Photo l'Internaute © Araucaria Araucana
Quatrième de couverture :
Antoine et Kathleen se rencontrent au Portugal, sur les bords du Tage. Lui vient de tuer sa femme. Mais il a été acquitté. Elle est traquée : la police ne sait pas encore que c'est elle, sur la falaise, qui a poussé son mari. Son crime n'a laissé aucune trace. "En découvrant le même style fatal dans leur passé, en mettant en commun les chiffres de leur solitude, ils avaient soudain retrouvé le sens de la vie. Ils n'étaient plus emmurés dans leur propre souffle."
Mais un détective de Scotland Yard, subtil et machiavélique, empoisonne leur amour et les amène à se détruire l'un par l'autre.
Ce roman d'amour violent et superbe a la beauté d'une tragédie classique.
"Les rives du Tage venaient vers les voyageurs; d'un côté, Lisbonne, ses églises, ses cloîtres et ses faubourgs; de l'autre ses collines boisées, d'aspect un peu sauvage et, à leur pied, dans les criques, des hameaux de pêcheurs. Le fleuve était large comme un bras de mer. Sur tout cela, couraient les flammes et les teintes magnifiques du crépuscule.
Kathleen semblait insensible et comme fermée à tant de beauté.
- Cela ne vous plaît point? dit Antoine tristement.
- Oh! non. C'est superbe, mais je ne me sens pas très bien. Je suis mauvais marin, vous savez, murmura Kathleen.
Elle essaya de sourire et n'y réussit pas.
"Elle ne dit pas la vérité", pensa Antoine, et aussitôt après : "Ca la gêne d'être vue avec moi par quelqu'un de son milieu."
Il regarda autour de lui, mais le petit homme avait disparu. Le silence lui parut lourd à lui, qui était de nature tellement silencieuse. Et le trajet très long.
Les gens qui descendaient au phare étaient peu nombreux et, malgré la tombée de la nuit, Kathleen fut certaine que l'inspecteur Lewis ne se trouvait point parmi eux. Il avait dû débarquer à l'une des escales qui jalonnaient le parcours du bateau.
La conscience du monde extérieur revint à Kathleen. Elle vit les galets de la plage qui luisaient vaguement, la sombre masse de la falaise et, au-dessus de sa tête, le feu tournant du phare comme un astre mobile. Elle sentit la brise du large.
- Merci de m'avoir amenée, dit Kathleen doucement.
Pour quitter le bord, sur le ponton glissant; elle prit le bras d'Antoine.
Il fut comme exorcisé.
Ils dînèrent de perchebes, qui étaient une sorte d'insectes marins collés aux rochers et qui ressemblaient à des parcelles infimes d'une peau d'éléphant; de langoustes grillées; de fruits. Ils burent du vin blanc qui venait des montagnes du nord. Tout étonnait et enchantait Kathleen.
Après le repas, ils allèrent s'accouder contre la balustrade du balcon qui donnait sur l'Atlantique. On ne voyait pas le flot, mais on entendait son mouvement.
- Ici est la fin de l'Europe, dit Kathleen à mi-voix, le carrefour des Océans. Ce balcon est celui du vieux monde."
(...)

Joseph Kessel - Les amants du Tage - Plon