Madeleine me rend ma copie, ça a saigné. Mon texte est barbouillé de rouge, sanguinolent, saccagé. Quel malin plaisir a-t-elle pu éprouver à cela ? Non, bien sûr de plaisir, il n’y en a pas. Elle le niera. Elle n’admettra jamais jouer la maîtresse qui aime taper sur les doigts. Non, son but, c’est simple, c’est de m’aider, me légitimer comme elle dit.
J’avance avec cette femme qui m’offre des cartouches de vie. Et, lui, notre amour est-il aussi à crédit ? A quel moment devrais-je payer cette attention qu’elle a pour moi ou plutôt cet oubli de soi qu’elle s’autorise un instant dans mes bras ? Elle s’encanaille à mes côtés mais, point trop, elle n’ira pas jusqu’à jeter sa délicate « grammaire » aux orties. Prenez sa vertu, oui, mais surtout ne touchez pas à sa salope de langue maternelle…
Elle est riche, mais elle ne le sait pas. Elle est éduquée et traîne derrière elle plusieurs années d’études dans de grandes universités aussi vieilles que son Europe. Elle est familière avec toutes sortes d’auteurs, aussi morts que vifs. Elle a ses entrées dans tous les domaines du savoir et se sent chez elle dans plusieurs langues étrangères. Elle a appris à penser de manière séduisante et astiquée. Et sa parole vous emberlificote sinusoïdalement.
Parfois, pour la faire enrager et voir sa délicieuse bouche faire la moue, je l’appelle « ma petite encyclopédie sur pattes ». Cela lui déplait, j’oubliais : elle est aussi furieusement politique correct. Parce qu’abreuvée au discours du relativisme et du respect, elle se refuse d’hausser sa culture au-dessus de la mienne. Elle a peur de paraître ethnocentriste. Qu’est-ce qu’on se branle, j’ai envie de lui dire… Moi, c’est justement cela qui me fait bander. Nos différences. Ce terreau qui alimente notre amour et, peut-être, bientôt, notre haine…
Je lui réponds en arabe. J’écris de gauche à droite. Je lui parle de notre amour qu’il serait aussi temps de libérer. « Il est urgent de dire non à la corruption du quotidien qui nous donne l’illusion de partager le même espace. Il est nécessaire de donner accès à nos peurs et nos audaces avec la même égalité de chance. Il est fondamental d’arrêter de cacher ce jeu de pouvoir entre nous. Car je constate ce malentendu qui grandit entre toi et moi. Aujourd’hui, j’assume mon désir de vérité et mon risque de la recherche et de l’action pour un couple meilleur. Je te demande de réévaluer ton engagement à mes côtés, le temps de choisir ensemble, pour une durée indéterminée, lequel sera le libre tyran de l’autre. » Et je signe.
Elle ne comprendra bien, bien sûr, elle ne lit pas l’arabe.