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"Femmes, pouvoir et bibliothèques : l’accès aux hautes fonctions dans les bibliothèques françaises"
Séverine Forlani, mémoire d'étude DCB, ENSSIB 2010
(extrait de la conclusion)
"Ainsi, si les femmes ont très certainement du pouvoir dans les bibliothèques françaises, elles n’ont assurément pas le pouvoir.
Parler des femmes et de la place qu’elles occupent dans la société (ou peut-être faudrait-il dire de la place que la société leur permet d’occuper) prend souvent un tour polémique. Si le sujet fait naître autant de débats, c’est qu’il ne laisse pas indifférent et vient pointer des problèmes qui ne veulent pas s’énoncer clairement.
Au-delà de la controverse, la question de la place des femmes dans les bibliothèques soulève des interrogations, en termes de management et de ressources humaines tout particulièrement. Que les femmes soient majoritaires dans les bibliothèques, et particulièrement aux postes de conservateur, est incontestable. Mais cela ne revient pas à dire qu’il y ait trop de femmes. Les présupposés sur lesquels repose cette assertion, souvent entendue, sont douteux. La féminisation d’une profession n’est certes pas sans effets : il faut trouver les moyens de gérer professionnellement le rôle social qui est aussi celui des femmes (et encore, pas de toutes). Mais suggérer que les femmes sont trop nombreuses, quand elles ne sont que plus nombreuses, c’est introduire une nuance qui demande à être développée, si ce n’est solidement argumentée. Car quoi ? Les femmes seraient nuisibles aux bibliothèques ? Entend-on jamais les hommes se plaindre d’être trop nombreux dans certains métiers ? Les compétences des femmes sont pourtant reconnues, avérées, récompensées ; dans un premier temps par la réussite au concours ; puis par l’obtention du diplôme de conservateur des bibliothèques ; ensuite par la conduite d’une carrière professionnelle riche et variée. On intente sans doute là un bien mauvais procès aux femmes.
Les moindres chances de réussite des femmes au concours montrent que les hommes sont favorisés depuis quelques années. Au nom de la mixité, sûrement, cet idéal à atteindre, avec en toile de fond le discours sur la parité, qui doit « marcher dans les deux sens » . Mais c’est oublier qu’une fois la victoire de l’éducation remportée, à partir du moment où les femmes obtiennent les mêmes diplômes que les hommes, elles ont un droit d’accès aux mêmes postes. C’est ignorer également que les actions de « discrimination positive » , puisqu’il s’agit bien de cela, relèvent des politiques publiques. Elles doivent faire l’objet de concertation, viser à réparer des injustices et favoriser l’insertion de populations auparavant exclues. Or, les hommes n’ont jamais été exclus des bibliothèques : historiquement ils en ont occupé tous les postes jusque dans les années 1920 et ce sont toujours eux qui, aujourd’hui, détiennent la moitié des postes de direction. Les hommes ne sont donc nullement empêchés d’entrer dans les équipes des bibliothèques. Ils ont la possibilité, comme tout le monde, c’est-à-dire comme les femmes, de passer un concours qu’on voudrait juste, équitable.
Notre enquête laisse toutefois apparaître, par bien des aspects, des lacunes et des limites. Elle n’est peut-être en fait qu’un début, une amorce. Elle mériterait certainement d’être complétée.
La recherche historique pourrait ainsi mettre en évidence le rôle des femmes bibliothécaires à différentes époques. Qui étaient les bibliothécaires moniales, par exemple, et quelles étaient leurs tâches, leur quotidien ? Quels étaient leurs contacts avec les autres acteurs, masculins, de ce que nous appelons aujourd’hui « la chaîne du livre » ? Que dire sur ce sujet pour les XVIIe, XVIIIe et XIXe siècles, avant que la féminisation des effectifs ne s’impose vraiment ? Et au XXe siècle ? Comment les femmes ont-elles accompagné les grandes mutations que le métier a connues ? Quel a été leur rôle ? Quelle place les femmes ont-elles occupée au sein des associations professionnelles ?
Il en ressortirait sûrement que les femmes ont été des alliées des bibliothèques, et non des ennemies. Que vouloir les évincer, ou en limiter volontairement la présence, n’est peut-être pas rendre hommage à leurs compétences, à leur action et à leur professionnalisme."
NB : Qu'on ne se méprenne pas, je ne suis pas vindicative, mais il se trouve qu'en lisant ce mémoire il y a quelques jours, je n'ai pas pu m'empêcher d'y trouver du vrai. C'est un mémoire à thèse, oui, mais en même temps les évolutions en termes de ressources humaines en bibliothèques me passionnent et on touche là à une question qu'il y a à poser, et à étudier. Ce n'est pas "vindicatif" que de poser la question, c'est de l'honnêteté intellectuelle, à l'image des études qui doivent se développer sur la place des hommes dans la société, non pas comme l'ensemble du genre humain, comme l'humain par défaut, mais comme des hommes dans une société mixte, et ce qu'il y a de particulier là dedans aussi. Enfin bref, aujourd'hui comme un autre jour, il y a des questions à se poser sur le monde autour.